Les sommets de bêtise de l'activité humaine.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, j'ai le sentiment que la montagne, c'est plus ce que c'était. Déjà, y'a les mômes sur la banquette arrière qui piaillent et qui couinent en demandant toutes les cinq minutes "C'est quand qu'on arrive ?". C'est aussi le traditionnel arrêt sur le bas côté pour mettre ces saletés de chaînes, vu que ceux que tu engraisses, ils ne sont même pas capables de dégager la route de la station. C'est qu'il a neigé qu'il n'y a deux heures, merde !


Tiens, parlons-en de la station. La réservation n'a été confirmée qu'au dernier moment suite à un désistement et le forfait est hors de prix. Escrocs... Enfin, la piste. Et là, tu crois pouvoir te griser de quelques sensations fortes. Mais c'est noir de monde et si par bonheur tu alignes plus de dix mètres de glisse, tu te retrouves hors piste. Pour peu qu'il y ait quelques pierres vicieusement dissimulées sur le parcours pour t'ouvrir le crâne en cas de chute malencontreuse...


Alors, pourquoi pas l'Everest ? Se dit le vacancier, comme le potentiel spectateur à la caisse du cinéma qu'il fréquente avec assiduité (Laissez-moi rêver...).


Je poserai la question d'une autre manière : Pourquoi l'Everest ? Cette interrogation, dans le film, donne lieu à un silence gêné, comme si elle était évidente. Puis elle donne donne lieu à quelques réponses tarte à la crème dignes d'une aspirante Miss France tremblante devant un Jean-Pierre Foucault tout aussi bouffi que bronzé et concupiscent.


Le film de Baltasar Kormákur met d'abord l'accent sur la préparation des candidats à l'aventure, à leur acclimation au sein du camp, leur immersion. Il est magnifique dans les images qu'il offre à son public, auxquelles la 3D donne un relief magique pour célébrer la majesté et le danger de la montagne millénaire. Le vertige gagne à la faveur de ces photogrammes en plongée sur un pont de singe ceinturant le vide. Everest est fort et tendu dans les péripéties qu'il offre, le danger auquel il confronte ses protagonistes. L'émotion naît parfois. Mais tel n'est pas, pour moi, le sens que le réalisateur veut donner à son film. Que penser par exemple de morts aussi anti héroïques, de personnages parfois si dérisoires ou grimpeurs à peine amateurs qui se lancent dans une telle aventure à la légère ? Dommage d'exploiter de la sorte un casting cinq étoiles, surtout qu'ils font la plupart du temps le job et mouillent la chemise.


Difficile en effet de faire naître une quelconque empathie pour des rôles illustrant une vie tellement vide de sens alors qu'ils semblent pourtant tout avoir et que l'existence leur sourit. Difficile de ne pas condamner l'illustration de l'Everest dans son exploitation toute économique qui prend des allures de Disneyland à la neige où se rencontrent tellement de touristes : le site va jusqu'à proposer un entraînement (?), ou plutôt une mise en condition avant l'ascension, mettant ainsi l'exploit à portée du presque commun des mortels, démystifiant ipso facto ce qu'on accompli les pionniers.


Je reposerai enfin la question : Pourquoi l'Everest ? Pourquoi le monter ?


Pour vaincre la montagne ? Chacun sait qu'au bout du compte, elle aura à chaque fois le dernier mot, comme la Nature à la fois sereine et dangereuse dont elle est l'expression. Pour se vaincre soi-même, ses propres faiblesses ? La victoire sera marquée à jamais dans la chair, la souffrance, le manque. Non. Plutôt pour une photo, souvenir d'un instant d'éternité, d'avoir touché du doigt un fantasme vertigineux. A 65 000 $, la photo... Pour se convaincre d'un "Je l'ai fait" et pouvoir ainsi se distinguer de manière éphémère. Pour dire enfin que l'on est allé là où de plus en plus de personnes iront, expression de l'expansion irraisonnée et sans frein de l'activité humaine en termes d'économie, de loisirs et de tourisme. C'est l'exploitation de la nature comme appropriation capitaliste d'un décor autrefois vierge.


Et merde, voir qu'ils facilitent le passage des touristes en goguette en reconnaissant l'ascension et en utilisant des échelles (oui !) pour passer les crevasses, je ne sais pas vous, mais pour moi , c'est comme une attraction d'auto tamponneuses chez Mickey avec un casque et des oreillers dans le cockpit. Aucun intérêt.


Behind_the_Mask, la montagne, ça le gagne.

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le 26 sept. 2015

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Behind_the_Mask

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