Avant d’aller profiter du soleil, faites-vous une pause cinéma pour retrouver l’obscurité, au cœur de cet Été 85. Une romance estivale retorse, concoctée avec soin par François Ozon.


Été 85. Maudite saison. J’avais 12 ans. Pour moi, la vie n’était pas encore une « ciné cure ». Une nuit, le mâle est brusquement entré en moi, par effraction, et le soleil a fini de briller, inexorablement. Et voilà que, en ce moment, cette satanée date s’affiche partout. Deux jeunes hommes enlacés, chevauchant cheveux au vent une moto sous un ciel presque sans nuages. La promesse de toutes les libertés et d’un bonheur partagé. Le cinéma peut-il être un art de la guérison ? Je tente cet exorcisme cinématographique avec appréhension et espoir.


Depuis 22 ans, l’éclectique réalisateur offre une singularité au cinéma français en multipliant les genres, à travers des histoires souvent sinueuses et particulièrement sensibles. Pour son dix-neuvième long métrage, l’auteur s’est plongé dans un projet très personnel, qui a longtemps mûri au diapason de sa maturité d’homme. En effet, à 17 ans, le jeune garçon François Ozon découvre le roman La Danse du Coucou de Aidan Chambers, publié en 1983. Cette lecture s’offre à lui comme un miroir de sa propre adolescence, et le jeune homme devenu apprenti cinéaste espère pouvoir l’adapter au 7ème art. Le 14 juillet 2020, tel un feu intérieur sans artifices, ce fameux projet, qui dénote la croyance de l’artiste dans les vertus du cinéma, nous est enfin dévoilé (sous le label « Sélection officielle du Festival de Cannes »), dans un contexte très compliqué pour les salles…


D’emblée, Été 85 surprend par une angoissante entrée en matière sous la forme d’un avertissement sévère, asséné au spectateur face caméra par un jeune homme menotté, dans lequel il est question d’amour de la mort et d’un cadavre ! Le ton est donné. L’horizon se dégage, les immenses lettres jaunes solaires du titre annoncent l’autre versant du film, soutenu par la pop song In Between days du groupe emblématique de l’époque, The Cure. Un travelling panoramique balaie la plage de galets de la station balnéaire du Tréport, surplombée par son imposante falaise de craie, témoin de tant de blessures qui ne s’effaceront pas. On retrouve le même adolescent de l’introduction, déboulant librement à vélo, puis prêt à embarquer seul sur une modeste embarcation « Tape-cul », pour profiter du soleil d’un début d’été. Une détente appréciable en attendant les coups de foudre climatiques qui le feront chavirer… Mais surgi de nulle part, David, chemise ouverte et torse nu, corps de Dieu grec (ou Rahan de BD), une dent de requin en pendentif autour du cou, se propose d’aider Alexis plongé dans des eaux bien tumultueuses. Un couple se crée, celui de l’affable sauveur séducteur de 18 ans et du plus jeune et plus candide Alexis (devenu rapidement Alex) au visage d’ange : Alex est embarqué par le tourbillon du trouble des désirs, dans la maison bourgeoise de son sauveur, qui vit seul avec son exubérante mère (épatante Valéria Bruni Tedeschi), la gérante de « la Marine », une boutique locale de matériel pour la pêche. Le décor, séduisant, est planté. Renouant avec la plage, déjà cadre de ses courts-métrages Une robe d’été (1996) et Regarde la mer (1997) et de son long métrage Sous le sable (2000), François Ozon retrouve le juste flux pour sa romance estivale. Le programme est établi, Éros et Thanatos vont être liés jusqu’à l’inéluctable.


Pour filmer cet apprentissage amoureux, François Ozon utilise le Super 16 mm, apportant la douceur d’une splendide photographie argentique aux couleurs saturés, qui donne également un grain plus nostalgique à cette histoire plus fantasmée que réaliste. Aidé par sa costumière, à travers une touche vestimentaire un peu kitsch (veste en jean sans manche, pantalons retroussés), et par son chef décorateur, le réalisateur ancre sa fiction dans une époque où la volupté et l’insouciance des élans du corps pouvaient encore se déployer, avant les terribles années SIDA… Sans se risquer derrière la porte à filmer les attractions charnelles les plus torrides, la caméra de François Ozon capte avec sensualité la pureté des frémissements et des rapprochements de peaux. Cette mise en scène soignée accompagne sans recul les sentiments exaltés d’un premier amour, l’abandon total à l’autre, le dépassement des limites en mode « grand huit émotionnel », l’envie de liberté à moto, la découverte de la sexualité et l’intensité des moments partagés : la chanson Sailing de Rod Stewart, lors d’une superbe séquence de boîte de nuit (qui évoque La Boum (1980) de Claude Pinoteau) vient cristalliser cet amour, mais aussi annoncer le tempo différent des deux amants. Un désaccord majeur interviendra de façon plus douloureuse avec l’arrivée de Kate, une jeune anglaise (Philippine Velge, spontanée…) venue faire l’expérience romantique de la France.


Le récit déstructuré – astucieux mais conforme à la structure du roman – de cette romance en forme de montagnes russes émotionnelles, à l’atmosphère « coming-of-age », ne manque pas de moments drôles : le film déploie petit à petit, avec justesse, les pièces du puzzle, et éclaire le sombre mystère qui se dévoilera par petites touches, en voix-off, tout au long du film (Alex est l’unique narrateur de cette fiction…). Ayant du mal à poser ses mots sur la douleur et à expliquer son geste à la justice, le jeune amoureux (vivant auprès d’une mère bienveillante et d’un père taiseux mais à l’écoute), fasciné depuis sa tendre enfance par la mort (notamment par les rites funéraires et les sarcophages égyptiens) va trouver sa voie. Un chemin vers le bout du tunnel, assisté par son professeur de français (l’impeccable Melvil Poupaud) : sortir du deuil en écrivant ses maux, et livrer enfin une étonnante explication à son acte. Cette révélation au romantisme exacerbé nous offre une séquence sensationnelle, parmi l’une des plus touchantes vues ces dernières années. François Ozon s’appuie sur la superbe alchimie entre ces deux adolescents, campés avec aisance et brio par Felix Lefebvre (une révélation…) et par Benjamin Voisin, un duo romanesque qui emporte le spectateur dans les vagues de l’âme. Été 85 propose donc un véritable récit initiatique, une fiction romanesque sincère qui devient un acte de résilience, pour panser « In Between days », toutes les blessures de l’adolescence.


Quand l’art cinématographique devient cathartique, mes larmes remplissent mes failles pour qui, sait, un jour peut-être, définitivement les combler… À défaut de danser avec ce diable, les yeux humides, je suis prêt à mettre les voiles vers un destin meilleur. Car dorénavant, la seule chose qui compte, c’est que d’une manière ou d’un autre, je parvienne à échapper à ma propre histoire…

seb2046
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le 26 juil. 2020

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