Un film américain qui célèbre la nature américaine et sauvage du Montana, celle au pied de laquelle les héros de Badlands (1973) finissent leur périple. Un film tiré d'un livre de Norman Maclean sur le souvenir et les sensations de l'enfance qu'on confronte continuellement aux expériences nouvelles. Nous en France on est fourni dans ce genre de littérature, on a 7 bon gros volumes qui nous attendent au jour de la vieillesse, quand le temps ne manquera plus. Mais pour les américains, ce goût des choses de l'enfance est à écrire. Et à réaliser.

C'est l'histoire de deux frères. Brad Pitt, belle gueule et acteur incroyablement plastique (J'ai pensé à Casey Affleck dans Jesse James) et de l'autre Craig Sheffer, gueule typique des années 90, un croisement entre John Malkovich et un Bogdanov. On le verrait vachement jouer dans 7 à la maison ou un survet fluo sur le dos en train de s'entraîner pour devenir le quarterback du lycée. Ce gars-là possède deux skills dans son jeu d'acteur : le sourire carnassier golden-boy-surfin-yeah et le regard mouillé du chien battu au premier rang dans l'église baptiste en bois brevetée 100% American Pioneer God-Approved de son père. Les acteurs ont d'ailleurs un jeu extrêmement stéréotypé, pas du tout à la hauteur des décors naturels proposés. On y décèle le manque de maturité de Redford réalisateur qui se réfugie dans un jeu d'acteur codifié Hollywood qui m'est désagréable, moi spectateur français. Les seconds rôles sont quelconques : sérieux, le gros joufflu qui s'appelle "Chub"... Le père a l'air inoffensif comme tout et est très effacé. Il tient mal son rôle du strict pasteur qui a morale et discipline chevillées au corps et avec sa raie au milieu et ses lunettes rondes, il ne ressemble à rien de paternel (dans mon imaginaire en tout cas).La mère c'est tout pareil : les deux sont insipides et le caractère rigoureux de l'enfance décrit sur la jaquette ne transparaît jamais. Il y a le frère qui revient de Californie, la jeune Jessie, son maquillage qui lui fait une mini bouche et sa famille méthodiste.

Pire que ça ! En y repensant, lorsque la voix-off égrène l'enfance, le héros baigne dans une sorte d'harmonie, rien ne l'atteint et même pas la violence puisqu'il veut être boxeur. Ces scènes semblent placées ici pour respecter la narration du bouquin et empêche l'émergence d'un paradigme fort qui fait défaut au film. En clair, il n'y a pas de problèmes dans la vie de Norman.
L'édification intellectuelle de Norman et la séquence de son éloignement qui accompagne le passage à l'âge adulte semble avoir été condensée lors de l'écriture du scénario. L'équilibre du film s'en retrouve affecté : Norman a à peine le temps de quitter le Montana qu'il revient sans que famille ni décor n'aient pris une ride. Lorsqu'il retrouve son frère, les scènes habituelles de sourires gênés, de soupirs yeux baissés et de "look at you" sont maladroites. Ils se retrouvent autour de la rivière, sortent ensembles ; on les voit retrouver une intimité, des lieux et des situations qui ont à peine été préalablement introduites au spectateur (sur les marches de la bibliothèque, dans le bar clandestin), et on sent poindre chez Norman la fascination - à travers la scène de l'indienne et l'observation de Paul qui pêche. A ce stade, on devine que l'aîné croyait connaître son petit frère, mais qu'après 6 ans sur la côte est, il est fasciné par ce qui lui a échappé. Seulement, on ne sait pas ce que Norman savait de son frère. On sait seulement qu'ils se faisaient indéfectiblement confiance grâce à une scène-cliché absolue, la descente des rapides du coin dans une barque volée.

C'est à mon avis le problème principal du scénario qui a eu du mal à condenser un récit visiblement riche et poignant, traduit avec fadeur à l'écran.

Des scènes curieuses viennent bousculer le film, sans parvenir à le faire sortir de son lit. La prostituée en état d'ébriété, la baston entre frères, Paul qui danse avec Mabel, le tripot. La pêche qui intervient régulièrement comme un élément de familiarité et qui lie subtilement les élément de ce récit. Même la péripétie finale semble couler naturellement dans le lit du film, sans projeter une goutte d'émotion hors de l'écran jusqu'au visage du spectateur. La réaction du paternel est caractéristique de la transparence de ce personnage dans le récit. A contrario, c'est cette fin qui fait prendre tout son sens au film et nous fait apprécier l'ultime scène un peu clichée. Robert Redford adjoint à son ensemble des images magnifiques de rivière qui serpente entre les frondaisons, de montagnes vertes et de plaines domptées. Il le fait à la manière statique de l'époque (1992, n'exagérons rien) mais qui ressemble à un documentaire un peu vieillot en comparaison de l'ultra-esthétisme qui fait loi aujourd'hui (les filtres sépia daubés façon Virgin suicides, les couleurs saturées de The tree of life, l'opulence écrasante de la nature dans Avatar). Je pressens cependant un retour au goût du jour de cette manière de filmer (plans sur les brins d'herbes avec la rivière floue derrière, caméra sur hélico au dessus du lit du fleuve, insectes qui dansent au dessus des roseaux) bref autant de choses que je n'ai pas vues dans Mud, un film fluvial récent.

Je conclus cette critique patchwork par la note, 5 car Et au milieu coule une rivière est une belle parabole, bien filmée, quoique son propos est tiède et ne m'a jamais engagé émotionnellement. Cela-dit, il y a cette tête à claque de Joseph Gordon-Levitt qui non content d'inonder nos salles de ciné de sa dernière production cinématochibresque, promène sa coupe au bol et ses yeux mi-clos dans les décors moitié carton-pâtes moitié grands espaces du Montana des années 10 lors des 20 premières minutes du film. Et ça ça mérite -1
Fabrizio_Salina
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le 28 déc. 2013

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Fabrizio_Salina

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