Alors voilà : d'un côté, les ouvriers, de l'autre, les patrons. Le programme pourrait paraître excessivement simpliste, mais ce film qui colle au plus près à la réalité des conflits sociaux dans notre société ultra-libérale mondialisée ne joue jamais la carte du manichéisme bêlant. Au contraire, il s'attache à dépeindre, avec le moins de commentaire possible, les situations et les tensions nées de la confrontation entre deux réalités qui n'ont que l'usine en commun. Une entreprise appartenant à un gros groupe allemand doit fermer pour préserver la croissance des dividendes perçus par les actionnaires. Pourtant, elle produit des bénéfices. Les employés buttent sur cette logique qui défie l'entendement. Des cas comme ça, nos actualités en sont truffées. A la limite, on ne leur prête qu'une oreille distraite, en jetant un regard blasé aux banderoles des syndicats. Il s'agissait donc de redonner de la chair à ces luttes désespérées et le réalisateur prend le parti de coller aux protagonistes et de laisser tourner la caméra comme pour un documentaire. Le ton est étonnamment naturel, grâce à des acteurs splendides, Vincent Lindon en tête. Ce que ce type fait de sa carrière me remplit d'admiration, depuis Welcome, au moins. Évidemment, le propos n'est pas neutre, et les représentants du patronat, s'ils ne sont pas caricaturaux, ne visent pas à remporter les suffrages pour le concours de sympathie de la Fête de l'Huma. Mais j'y ai trouvé mon compte, moi qui ai senti une secrète confirmation de mon incroyable jugeote quand une statistique (vraie ou fausse, je n'ai pas pris la peine de vérifier, puisqu'elle confirmait mon intuition...) a affirmé sur les réseaux sociaux que 37% des patrons américains étaient des psychopathes... Blague à part, ce bras de fer entre des gens modestes autant que désespérés et des cols blancs implacables ou trop contents de soi pour remettre en cause leurs certitudes prend, devant la caméra de Brizé, des allures de tragédie grecque. Et ça n'est pas le final époustouflant - un vrai direct à l'estomac - qui viendra contredire cette impression tenace d'avoir touché du doigt le véritable nœud gordien de notre société. L’État y est dépeint dans toute son impuissance (coupable, à mon avis, puisque les politiques pencheraient à l'évidence du côté des entreprises si la pression électorale ne les dissuadait d'afficher trop clairement leurs sympathies...), la finance dans sa monstruosité et l’actionnariat dans son abjection. Les ouvriers ne sont pas dépeints avec angélisme pour autant : les dissensions qui écartèlent le corps social, observées sans indulgence, font la part belle à la lâcheté, à la mesquinerie et à l'égoïsme. Le message est clair, au final, mais je ne le répèterai pas une fois de plus tant il semble désormais galvaudé. Je me contenterai seulement de chaudement vous recommander ce film ambitieux et limpide.