A un moment, dans cet Empire of Light, le personnage du projectionniste, Norman, se lance dans une déclamation à propos de sa machine (je cite de mémoire) :
«Tu vois, c'est grâce à ce petit rayon de lumière que toute la magie devient possible. Il faut juste que les spectateurs voient ce rayon et surtout qu'ils ignorent toute la machinerie qu'il y a autour. Et c'est parce que, de ton côté, ton nerf optique a une imperfection que tu as l'impression que ces 24 petites cellules figées qui défilent par seconde prennent vie »
Paradoxalement, c'est en verbalisant cela que cet *Empire of Light * est parvenu à énoncer tout ce qui, à mes yeux, n'allait pas avec lui.


Parce qu'en effet – et en ce qui me concerne – je n'ai rien vu prendre vie durant ces deux heures de film. Moi je n'ai vu que des petites cellules défiler ; ou plutôt devrais-je dire des petites cases...
...Des petites cases à cocher pour satisfaire aux petites préoccupations du moment.
Deux heures durant, je me suis demandé quel était le propos ; quel était l'élément moteur autour duquel tout était censé se mettre en branle.
Ici on s'attarde sur le sort des femmes d'âge mûr.
Là on pose la question des couples interraciaux mais aussi celle des couples intergénérationnels.
Un peu plus loin on explore la question de la maladie mentale, le tout sous fond d'hommage rendu aux vieilles salles de cinéma...
Tout ça pour quoi ? Pour aller où ?
Pour nous amener à comprendre que les skins qui tapent les personnes noires c'est quand même vraiment pas sympa ?
Pour nous amener à prendre conscience que l'isolement des personnes en situation de maladie mentale c'est vraiment pas tip-top ?
Pour nous ouvrir à davantage de tolérance et d'ouverture d'esprit sur les couples atypiques ?
Tout ça fait quand même très patchwork sans unité ; qui plus est au service de combats que le film semble mener bien après la bataille...


Et que vient faire la déclaration d'amour au cinéma là-dedans ? Franchement je l'ignore.
Ça fait vraiment mortier de fortune à base de « oui mais grâce au pouvoir de l'amour que transmet le cinéma, à la fin tout le monde est content. Les gens se lient, ils rient, retrouvent les êtres trop longuement abandonnés et relancent des projets laissés en suspens.
Étonnamment, par cette démarche cumulant morale bon ton et propos insipide, ce film me fait en partie penser à La Forme de l'eau de Guillermo del Toro. On coche les cases des dernières bonnes causes du moment et on essaye de lier ça avec ce qu'on a sous la main...
...Ici c'est l'amour du cinéma. Mouaif...
Cinquième film que je vois cette année 2023 et c'est le troisième qui me fait le coup de l'amour du cinéma. Quelle originalité...
Ça c'est du cinéma d'auteur.


Alors après, oui, moi je veux bien considérer les belles images bien cadrées par Sam Mendes et bien photographiées par Roger Deakins. Oui je veux bien aussi reconnaître le casting de qualité – Olivia Colman en tête – de la même manière que je pourrais aussi accepter la bande-originale proposée par Trent Reznor et Atticus Ross.
L'équipe réunie est belle. Le résultat est propre. Mais justement : c'est trop propre.
Où est la petite imperfection qui fait qu'à un moment on ne voit plus les petites cases cochées qui défilent ?
Me concernant, ce moment il s'est légèrement matérialisé vraiment sur la toute fin ; là où on sent que chaque personnage est à un croisement de son existence ; là où des choix s'offrent à eux et où des perspectives s'ouvrent à nous...
Mais c'est peu...
...Et surtout c'est tard.
Au point même que j'aurais tendance à dire que ce film m'a presque eu à l'usure...
...Au bout de l'ennui.


Au final, sitôt je considère tout ça que je ne peux que m'étonner du choix d'un tel titre : Empire of Light.
Que d'ambition dans le titre pour au final si peu sur la pellicule.
À quel moment triomphe l'empire des sens ? D'où est censée jaillir la lumière ?
En une période où un certain conservatisme artistique comme moral sclérose la création, on aurait été en droit d'attendre de la part d'un auteur comme Sam Mendes un geste d'auteur, un vrai.
Au lieu de ça, il nous a donc livré une œuvre si impersonnelle qu'une intelligence artificielle aurait pu la signer.
Alors moi je veux bien qu'on se la joue complainte nostalgique du temps béni des bobines et autre Kinoton, mais que dans ce cas là on n'oublie pas pour sa part de nourrir le cinéma d'un minimum d'ambition.

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le 5 mars 2023

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