Empire du Soleil reprend nombre de thèmes chers à son créateur parmi lesquels l’enfance, la séparation, le rite du passage à l’adulte, la guerre autant d’éléments qui seront traités et imbriqués les uns dans les autres avec comme prétexte l’histoire tragique d’un enfant d’expatrié vivant à Shangaï avant que le Japon ne l’envahisse. Isolé, désabusé par ce monde qu’il ne comprend pas cet enfant deviendra un homme, écrasé par l’étau de la vie et de la guerre.

Nos yeux et nos oreilles seront Jim, le protagoniste du film par lequel sera filmée la guerre. Et si ce procédé didactique a déjà été utilisé au cinéma, il est sublimé par le regard d’enfant de l’éblouissant Christian Bale, victime et bourreau de sa propre existence. Mû par une force et une énergie sans limites, il vivra de nombreuses péripéties qui conduiront l’enfant à devenir homme et à nous laisser voir le rêve se désagréger petit bout par petit bout.

Détruire l’innocence sans jamais vouloir complétement l’oblitérer. C’est peut-être là toute la magie d’Empire du Soleil : offrir un spectacle fragile et ténu frôlant parfois la poésie sur un fond pourtant grave et complexe. La prouesse du film est de parvenir à extérioriser un drame intime et secret, à faire d’une fresque épique un cheminement intérieur et très privé sans que cela ne soit qu’un prétexte d’humanisation du film ou un coup de Trafalgar pour donner du fond. Le spectateur est balancé perdu et bousculé par la gravité du propos ne sachant à quel saint se vouer ou à quelle valeur se raccrocher.

Les procédés stylistiques frisent le génie lors de scènes de foule et de combats dans la première partie, servis par d’immenses plans larges magnifiant l’horreur de la guerre pour la rendre d’autant plus cruelle qu’elle ne l’est déjà. Plus de 5000 figurants seront réunis pour ce film qui d’ailleurs fût le premier long métrage américain à être tourné en partie en Chine.
La musique composé par le fidèle John Williams prêtre une densité épique et même si on peut regretter son utilisation quelque peu abusive ses accents surannés, elle contribue avec la richesse visuelle du film à faire ce que Steven Spielberg sait faire de mieux : rêver, rendre beau le laid, savamment utilisé dans des teintes sucrées salés pour amplifier l’ire de l’univers dans lequel le film berce.

On peut reprocher à Empire du Soleil de tomber dans la facilité par ses personnages secondaires un peu creux. Le propos frôle parfois le pathos, sentiment accentué par l’omniprésence de la musique.
On peut aussi lui en vouloir pour sa facilité, et l’incomplétude de son propos, comme si le film faisant un pas en avant et deux en arrière à chacun nœud dramatique. L’enfant prodigue qu’est Spielberg tombe dans son propre piège à vouloir trop en montrer, à trop vouloir expliquer et à ne pas vouloir aller jusqu’au bout de son idée. Temporisant au maximum pour ne pas risquer de perdre trop vite la candeur toute sucrée du film, trop édulcoré sans doute et empêchant de construire une réelle dimension homérique à un film qui avait pourtant tout du chef d’œuvre. A trop guider ses ouailles on peut leur faire prendre le mauvais chemin

On ne pourra en revanche pas lui reprocher l’extraordinaire beauté de sa photographie et l’audace de certaines scènes que cela soit sur le plan technique ou humain à l’image du long plan séquence narrant la vie d’un camp de prisonnier ou le point d’orgue « Les Cadillac du ciel. » (ndlr C’est la première fois dans l’histoire du cinéma qu’un crane scope sera utilisé en lieu et place d’une Dolly)

En somme Empire du Soleil remplit son contrat cinématographique, tant par la force de son jeu d’acteur et de son ton ballotté en permanence entre plusieurs sentiments très contradictoires. Visuellement impeccable, musicalement remarquable, le rite initiatique est brillant et tout en finesse aidé par un John Malkovitch au sommet de sa forme. Mention spéciale pour l’extraordinaire prestation de Christan Bâle, volubile, irritant, insupportable, naïf pour lequel on se prend vite d’empathie (malgré nous) trop enfant pour la guerre, trop rêveur pour le monde qui l’entoure, spectateur de son destin et du monde qui l’entoure jusqu’aux pires horreurs de notre histoire.

Nous rêvons avec lui, nous pleurons avec lui et nous pardonnons rapidement les quelques défauts qui ont empêché le film de développer son plein potentiel. C’est un beau spectacle, pour moi une des œuvres les plus intimistes de Steven Spielberg, peut être l’un des plus belles aussi. Filmeur de rêve et vendeur d’espoir et d’oxygène.
raphaelamala
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le 19 avr. 2014

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