Emily
6.4
Emily

Film de Frances O'Connor (2022)

Alors, je vais être clair dès le début, je n'ai absolument rien contre les biopics qui ne sont pas ou sont peu fidèles à la vérité. Mais, à une condition, une seule, à savoir que l'histoire racontée soit aussi ou plus passionnante que la vraie. Et aussi qu'elle n'ait pas un fond douteux... Ouais, deux en fait...


Avec un long-métrage sur Emily Brontë, il y avait un potentiel absolument formidable pour donner quelque chose de puissant, de captivant, de profond, de mémorable. L'existence et la personnalité de celle qui nous a légué Les Hauts de Hurlevent fournissent la matière à un portrait féminin unique.


C'était un être timide, introverti, solitaire, détestant la compagnie autre que celle de ses proches (le nombre de ses amies pouvait largement se compter sur les doigts d'une main et sa meilleure pote était sa sœur Anne !) ainsi que de ses chiens, passant des heures à se promener sur la lande. C'était un esprit brillant qui avait une capacité extraordinaire pour apprendre. C'était une force de la nature, dégageant une volonté incroyable pour atteindre ses objectifs. C'était une âme farouchement indépendante. Elle détestait les contraintes sociales, aussi bien sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Si elle a exercé avec une grande compétence le métier de professeur, c'était uniquement pour gagner sa croûte et avec autant d'enchantement qu'un certifié venant d'apprendre qu'il a été muté à Sarcelles. Elle n'a jamais eu de relation sentimentale. A trente ans, la tuberculose a été sans pitié avec elle. Trente ans seulement passés dans notre monde terrestre, mais bordel, quel souffle, quel héritage, quelle histoire...


Voilà, en quelques lignes, bien schématiques, avec le peu d'informations que l'on a sur elle, ce que c'était Emily Brontë. Vous n'allez pas à me dire qu'il n'y avait pas, pour Frances O'Connor (qui a non seulement commis la réalisation, mais aussi le scénario de cet étron !), un sujet pour nous concocter un film magnifique ?


Ben, pourtant, la réalisatrice-scénariste préfère raconter une autre histoire. OK. Aussi ou plus passionnante que la vérité ? NON !


Alors la séquence d'introduction fait comprendre que l'ensemble a pour ambition de mettre en avant comment Emily Brontë a pu donner Les Hauts de Hurlevent. En effet, la jeune femme est prise brutalement par les soubresauts de l'agonie. Charlotte, sa sœur aînée (oui, celle qui a écrit, entre autres, Jane Eyre, mais je vous encourage à lire toutes ses œuvres !), ayant l'air de découvrir d'un coup que la moribonde a rédigé un bouquin, la chicane pour savoir à tout prix de quelle façon elle est parvenue à rédiger une telle œuvre. Oui, parce qu'au lieu d'être envahie par la tristesse, par l'envie de tout faire pour sauver sa cadette des griffes de la mort, Charlotte Brontë ne pense qu'à la chicane. Réfléchissez cinq petites secondes... voilà, c'est fait ?... maintenant, vous n'allez pas me dire que cette séquence n'est pas complètement débile ! Encore, ça aurait pu être placé après que Charlotte a découvert le contenu de l'ouvrage, quand Emily le lui fait lire... mais non, trop cohérent, pas assez stupide... Et ça annonce très bien la couleur de ce qu'est le reste.


Pourtant, la scène suivante avait provoqué chez moi quelques timides instants d'espoir. Le seul moment, un tant soit peu intelligent, de ces putains d'interminables 130 minutes, représente notre protagoniste, étendue sur la lande, dans son monde imaginaire, en train de se créer mentalement ses propres univers. Mais, on retourne tout de suite après dans la débilité et on y reste jusqu'au bout.


Alors, si Emily Brontë est parvenue à écrire Les Hauts de Hurlevent, c'est, en très grande partie, parce qu'elle a connu une trop tristounette romance ultra-clichée avec le vicaire de son père, William Weightman. Oui, voilà, voilà...


Bon, déjà, cela dégage un message consternant : vous êtes une femme et vous n'avez pas connu de romance dans votre vie ? Ben, désolé, vous êtes une loseuse, une grosse loseuse, un être inintéressant au possible. Vous avez une personnalité forte fascinante ? Vous êtes un caractère unique ? Vous avez même écrit un des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature mondiale ? Aucune importance, vous êtes une loseuse quand même... LOSEUSE... Votre personnalité et votre héritage exceptionnels ne valent rien parce que vous n'avez pas connu de romance. Une femme n'est intéressante que si elle a connu une histoire sentimentale. Ben ouais, c'est Frances O'CONNor qui le dit.


Ensuite, si on suit la logique du film, Les Hauts de Hurlevent raconte une histoire d'amour cucul la praline, avec tous les clichés possibles et inimaginables, parsemée d'une autre quasi-incestueuse, déversant son lot de clichés sur l'autre qui était déjà en train de se noyer sous les clichés. Ouais, si on suit la logique du film, l'unique roman de la jeune femme est un summum de niaiserie. Ouais, une passion destructrice, déchirante, se transformant en une haine vengeresse, froide, calculée, longue (avec un petit fond de dénonciation du racisme !), tout en étant en même temps brutale, pour ne pas dire bestiale, le tout dans une atmosphère rugueuse et anxiogène, peuplé de caractères complexes, donc vrais, est en fait un putain de summum de niaiserie. Alors, O'Connor ne sait pas écrire, mais, en plus, elle ne sait pas lire (enfin, si elle a pris la peine un jour de jeter un œil sur cet immense monument littéraire !).


Pour terminer, non, ce n'est pas parce que Emily Brontë (sans dénier l'influence incontestable qu'a eu son frère, Branwell, pour la création du personnage d'Heathcliff !) avait une sensibilité profonde, un esprit brillant, un don pour l'observation, un goût énorme pour l'introspection, ainsi que cette chose indéfinissable appelée "génie", qu'elle a réussi à créer un chef-d'œuvre absolu... non... c'est parce qu'elle a vécu une romance à deux balles, une putain de romance à deux balles... Oui, vous êtes incapables de parler de l'amour si vous ne l'avez pas vécu en pratique...


PPPPPPPPPPFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF...


O'Connor chie sur ce qu'était Emily Brontë. La pauvre, elle doit se retourner dans sa tombe.


Parce que parlons-en de l'Emily là-dedans, c'est une espèce de midinette, ado attardée, qui chiale à la moindre contrariété entre une histoire d'amour trop déchirante... OUIN... un papa qui n'a que pour fonction d'avoir honte d'elle (ouais, je vous préviens que les personnages secondaires ne sont pas géniaux par leur profondeur... remarquez, ils n'apparaissent pas beaucoup... alors que ce sont juste des membres de la famille proche, très proche, de la principale concernée, que dalle quoi !) et une sœur ainée qui n'est pratiquement là que pour cracher son venin. Ben oui, il faut bien consacrer du temps à l'histoire d'amour à deux balles, voyons, c'est tellement essentiel. Ouais, en fait, Emily, c'est comme l'héroïne d'une série pourrave teenager Netflix.


Et la rédaction du fameux roman ? Oh, expédiée en une minute sur la fin. On s'en fout. Ce n'est pas comme si c'était un putain de futur monument littéraire en train de se créer. L'histoire d'amour à deux balles, c'est tellement plus important.


A propos de cette dernière, en ce qui concerne William Weightman (au passage, incarné par un acteur ayant le charisme d'un bulot avarié, mais on n'est plus à un défaut près !), il a réellement existé, mais il semblerait que si une romance a eu lieu, ce soit avec Anne, l'injustement négligée Anne (ah oui, dans le film, elle doit apparaître que deux minables minutes en tout... ben ouais, c'est juste la sœur cadette et meilleure amie du personnage principal... rien du tout... et puis, il y a l'histoire d'amour à deux balles… !), l'injustement oubliée des trois sœurs (quand j'écris "trois soeurs", j'évoque seulement celles qui ont atteint l'âge adulte et qui ont eu une activité littéraire !) et, néanmoins, aussi talentueuse que Charlotte et Emily, n'ayant absolument rien à leur envier, et qui se permet même d'être la plus moderne du trio (Vous en doutez ? Eh ben, j'en profite pour chaleureusement vous recommander la lecture d'Agnes Grey, récit semi-autobiographique dans lequel l'héroïne connaît une romance, subtile elle, avec... un vicaire, mais aussi celle de son deuxième et dernier roman, La Locataire de Wildfell Hall, dans lequel elle sort la sulfateuse et pulvérise avec brio tout le sexisme de son époque !). Si un réalisateur talentueux (en conséquence, pas O'Connor !) veut de la romance, sans massacrer un sujet en or, je lui recommande de mettre en scène un biopic se concentrant sur la figure d'Anne... elle le mérite vraiment... Je vous demande pardon pour cette petite parenthèse hors-sujet, mais sincère... je reviens à l'autre bouse...


Qu'ajouter de plus ? Les personnages ont la capacité d'être toujours impeccables, même malades ou en pleine débauche (ouais, ce défaut de mise en scène est dérisoire à côté de la connerie absolue du bousin !). Euh... Emma Mackey fait très bien la fille ne maîtrisant pas parfaitement le français alors qu'elle est parfaitement bilingue dans la réalité (mais ça ne suffit pas du tout à sauver cette merde de la catastrophe !).


Alors, je vous vois venir. Vous allez me dire "ouais, mais tu te prends la tête pour pas grand-chose... ça ne mérite pas d'être descendu autant, d'être noté ainsi !". Euh, excusez-moi, mais je signale que l'on est en 2023 et qu'au-delà de transformer de l'or en caca, de déféquer sur une personnalité fascinante ainsi qu'une figure artistique exceptionnelle, d'essayer de faire croire que seule l'expérience directe permet la compréhension... en 2023, on sous-entend encore que l'existence d'une femme est sans intérêt si elle n'a pas été mêlée à une romance. Ce genre de putain de discours existe encore en 2023... Désolé, mais face à cela, je suis incapable de la moindre indulgence. C'est dégueulasse. Et c'est dégueulasse d'avoir utilisé Emily Brontë pour appuyer ce discours répugnant.


Si vous pensez que je suis excessif, lisez Les Hauts de Hurlevent, lisez une biographie sur elle, voire ne serait-ce que sa page Wikipédia, visionnez des vidéos sur YouTube, et ensuite, osez me dire qu'elle ne méritait pas beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup mieux.

Plume231
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le 15 mars 2023

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