Elvis
6.7
Elvis

Film de Baz Luhrmann (2022)

Ce mérite qu’on ne saurait retirer à Baz Luhrmann…

Oui, moi c'est surtout de lui dont j'ai envie de parler.
L'auteur avant le sujet.
Baz Luhrmann avant Elvis Presley.


Je ne dis pas que l'icône étatsunienne n'est pas digne d'intérêt, loin de la – et rassurez-vous, j'entends bien en parler ici – mais si j'ai fini par aller voir ce film c'est parce que – outre quelques bons retours – c'est clairement pour voir le réalisateur à l'œuvre et pour nulle autre raison.


Alors oui, c'est sûr qu'il divise ce cinéma de l'exubérance et de la générosité formelle et que certaines critiques qui lui sont adressées sont en partie justifiées.
Oui c'est du cinéma clinquant, oui c'est parfois bourratif et fatigant quand ce n'est pas carrément cul-cul voire grotesque.
Néanmoins ça me paraît quand même difficile de retirer à Baz Luhrmann une maîtrise totale de ses effets ; maîtrise d'autant plus appréciable qu'elle aboutit à chaque fois à une cathédrale cinématographique remarquablement ouvragée (et que les esthètes ne pourront qu'apprécier) mais aussi parce que la débauche d'effets engagés n'est jamais vaine et gratuite : ici comme ailleurs, la générosité de Luhrmann permet d'avoir accès à une sensibilité à fleur de peau...
...Et d'être touché.


Or me concernant ce n'était clairement pas gagné d'avance.
Hermétique que je suis à la musique du sujet ici choisi d'un côté (pour ne pas dire répulsé par ce qu'incarne l'icône) et puis surtout gavé comme une oie que je peux être des biopics, je n'étais clairement pas disposé au mieux pour m'ouvrir à cette nouvelle « luhrmannerie »...
...Et pourtant trois éléments ont su faire basculer les choses du bon côté : l'énergie, le sens de l'élan mais aussi et surtout cette capacité à retranscrire la sensibilité des choses.


Énergie d'abord. Forcément.
Dès la première minute et la présentation des logos de distribution et de production que déjà ça se déploie, ça scintille, ça ne demande qu'à exploser.
Et quand bien même le film part effectivement tambour battant avec un déluge de plans et d'effets que malgré tout la mayonnaise a su très vite prendre me concernant et cela sûrement par le fait qu'avec le temps l'auteur a su affiner au mieux ses effets leur retirant un peu de ce gras qui pouvait alourdir d'habitude ses entames.


Cette amorce fonctionne d'ailleurs d'autant mieux que toute cette débauche de mise-en-scène permet de faire des sauts dans le temps et d'offrir une angle d'attaque intéressant et original du sujet : non pas en commençant basiquement sur son enfance vouée à faire de lui un élu au destin tout tracé mais plutôt via son impresario véreux qui entend se défendre d'avoir été responsable de la chute de l'idole alors qu'il prétend au contraire avoir participé à l'ériger comme telle.
Et même si le personnage de l'impresario – campé par un Tom Hanks sciemment dans l'excès – présente déjà les affres des personnages caricaturaux typiques du cinéma de Luhrmann que néanmoins sait-il faire ici son effet. Il clarifie tout de suite les lignes directrices de son récit et lance la machine à toute berzingue pour lui donner cet élan que le film ne perdra (quasiment) jamais.


Élan donc, parce qu'en effet cet Elvis ne perd jamais le sens du rythme.
Loin d'être en permanence frénétique comme certains pourraient dire, la mise-en-scène de Luhrmann parvient au contraire à jouer convenablement de l'accordéon (si cette métaphore musicale incongrue m'est autorisée) : insister sur les moments-clefs puis réinsuffler du nerf sitôt s'agit-il d'évacuer les évidences et le temps long.
Et quand bien même certaines transitions sur le final pourront paraître maladroites auprès de certains, donnant l'impression que des rallonges ont été greffées artificiellement au récit initial (en tout cas, moi c'est vraiment la sensation que j'en ai eue) l'ensemble parvient toujours à se justifier d'autant plus que chaque scène rajoutée permet au final de ressentir avec davantage de finesse ce que l'auteur entendait nous transmettre de son sujet...


...Parce qu'au bout du compte elle est quand même là la clef-de-voûte de ce généreux ouvrage.
La grande force de cet Elvis comme de la plupart des films de Luhrmann c'est qu'il a su donner à sentir.
Comme je le disais plus haut je ne me suis jamais intéressé à Elvis Presley et, pire que ça, j'estimais savoir ce qu'il y avait à savoir c'est-à-dire pas grand-chose.
A mes yeux simple conséquence d'une époque en transition, Elvis avait juste su cristalliser autour de sa belle gueule et de sa belle voix (et de son déhanché) la mutation des mœurs de son temps et that's it.
Or peut-être est-ce justement là la grande force de cet Elvis que d'avoir su éviter le traditionnel récit du héros providentiel qui avait déjà tout en lui pour changer la face du monde de la musique.
Justement non : dans ce film, Elvis est bien le produit d'une société à son époque et d'un système avant d'en être un moteur.
Produit d'une société à son époque d'abord car Elvis nous est bien présenté avant tout comme la synthèse culturelle et artistique de deux mondes qu'on a voulu maintenir « séparés mais égaux » ; vivant sur une brèche que les remous des lendemains de la Seconde guerre mondiale allait contribuer à élargir.
Et là où ce film parvient à se distinguer malicieusement des codes cadenassés du genre c'est qu'il va rompre avec cette logique de centrer le récit sur la seule idée de l'artiste rongé ou dépassé par lui-même. Non, outre son énergie dévorante et son goût pour une transcendance quasi-religieuse, ce qui participe ici à conduire Elvis jusqu'à l'abîme, ce sont des acteurs et structures extérieurs qui vont participer à entraver son expression et/ou à la dévoyer en l'exploitant jusqu'à l'outrance (et la mort).
C'est l'impresario véreux. C'est le sénateur sudiste. C'est l'appât du gain. C'est le cloisonnement social des structures traditionnelles. C'est l'esprit de marchandisation et de standardisation de l'art.
C'est... Le modèle socio-économique étatunien en somme.
Et l'air de rien, en transposant au personnage d'Elvis – non sans impertinence d'ailleurs – des problématiques d'individus se devant de lutter contre des structures sociales pour simplement pouvoir exprimer la sincérité de ce qu'ils ressentent et de ce qu'ils sont, Luhrmann raccroche non seulement son Elvis a ses structures narratives auquel il est habitué (Romeo + Juliet, Moulin rouge) mais en plus en rompant avec nos habitudes (et lassitudes) en termes de biopic.


Au final, cet Elvis m'a parlé pour son aspect profondément humain. Et quand je dis « humain » j'entends par là un personnage à dimensions et à prétentions humaines.
Il n'est pas demi-dieu ou génie incompris. Il est un simple humain dont la sensibilité est exploitée et broyée par un système d'autant plus inhumain qu'il est présenté dans toute sa grossièreté.
Et même si - encore une fois - ce film tire sûrement trop en longueur au point de se répéter, il a au moins le mérite de savoir se conclure habilement, résumant toute sa démonstration par une scène dont on pourra se délecter de toute la pertinence.


Finir sur une image du véritable Elvis, bouffi et déformé par le système qui l'a surexploité au point de le doper comme un cheval de course, mais un Elvis qui malgré tout continue à tout donner et à se battre pour rester fidèle à sa nature profonde, c'est diablement éloquent.
A ce moment là, l'artifice et le naturel se rejoignent – pour ne pas dire se « cognent » ensemble – de manière presque malaisante. Un malaise qui ne peut qu'annoncer une fin presque inéluctable.
Comme une évidence.
Brillant d'efficacité.


Malgré tout reste un constat qui pèse chez moi : Elvis reste un biopic ; qui plus est un biopic sur un énième chanteur.
Et c'est dommage parce que malgré toutes les initiatives qu'a pu prendre Baz Luhrmann pour singulariser son long-métrage et lui donner de l'épaisseur formel, j'avoue qu'il devient de plus en plus difficile pour moi de m'enthousiasmer pour ce genre de film.
Voilà au fond un autre effet pervers de la tendance actuelle que prend l'industrie du cinéma : à favoriser systématiquement une politique d'exploitation à outrance des formules qui marchent, le cinéma étatsunien finit par étendre les effets pervers de sa Marvellisation jusqu'à des genres qui en étaient pourtant éloignés et franchement c'est bien dommage.


Bien dommage car, dans mon esprit, cet Elvis risque fort de se graver comme étant une version certes aboutie mais d'un genre malheureusement bouffi jusqu'au malaise.
Or il est évident que l'enfant de Memphis / Tennessee comme celui d'Herons Creek / Australie mérite mieux qu'un vague souvenir boursouflé. Et c'est à savoir notamment pour celles et ceux qui, contrairement à moi, restent face à ce genre de cinéma disposés....

Créée

le 27 juil. 2022

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