Elvis
6.7
Elvis

Film de Baz Luhrmann (2022)

On peut remarquer de nombreuses tendances dans le cinéma américain contemporain, en particulier dans les genres qui s'y démarquent et prolifèrent. Au-delà de ce simple constat, on peut surtout observer ce qui les relie, explique leur succès et régit leur fonctionnement. Ainsi, ce qui fait le pont entre d'une part film de super-héros, suites reboots et biopics, c'est bien avant-toute une sorte de nostalgie poussant à la consommation. Dans le cas spécifique du biopic, il s'agit en effet, et c'est ce qui le différencie du simple film historique, de faire le portrait, non pas d’événements, mais d'un récit national fait de personnalités, plus encore, de mythes. Au contact de ces mythes, le genre est bien sûr varié: certains font le choix de déconstruire ces idées, tandis que d'autres prennent un point de vue plus complexe. Mais la plupart se cantonnent un récit se contentant de glorifier une image déjà lissée, déjà rêvée par le public et son inconscient collectif, heureux d'être à proximité une dernière fois de ces légendes. Dès lors, on voit très bien comment le biopic suit également la marche du temps et de ses modes successives: à Bohemian Rhapsody en 2018 succédait Rocketman en 2019 et on pouvait presque déjà imaginer un biopic Nirvana qui recréerait, pour le plaisir des nouveaux trentenaires, leur MTV Unplugged jusqu'aux trous du pull de Kurt Cobain. La sortie d'Elvis surprend alors: Walk the Line avait déjà fait le portrait d'une star de la country en 2005, et on avait du mal à imaginer le portrait de Presley une quinzaine d'années plus tard. La musique du «king» peut-elle encore toucher le public, au-delà des fanatiques d'antan?

Sous la direction de Baz Luhrmann, c'est bien, avec surprise, la réussite du film. En effet, Luhrmann, cinéaste pop, voire punk, a toujours été célèbre pour sa manière de moderniser et de tordre, à coup de coupes excessives ou d'effets stylistiques parfois douteux, récits historiques et œuvres classiques, quitte parfois à en trahir certains aspects (avec Gatsby le Magnifique notamment, parfois réduit à une publicité H&M rythmée par la voix de Lana Del Rey). Dans le cas d'Elvis, il ne pourrait être plus à l'aise: abandonnant l'académisme type Rock & Roll Hall of Fame de Walk the Line, Luhrmann rentre dans une transe survoltée qui retranscrit parfaitement l'électrochoc que représente Presley pour la musique des années 50 et 60, sa force galvanisante, et sa place dans l'industrie américaine du divertissement. Surtout, l'apport de musiques et sonorités modernes, inhérent à la filmographie de Luhrmann, a ici un sens alors qu'il traite enfin d'un musicien: en ajoutant rap au rock, le cinéaste reproduit bien une certaine explosion esthétique. Simplement, comme souvent chez l'australien, cette modernisation abstraite atteint rapidement ses limites. Ici, c'est paradoxalement dans ce cadre, idyllique pour lui, qu'il se retrouve vite emprisonné.

Dès le début, l'esthétique sous boisson énergisante devient «clipesque», boursouflée et est dominée par une photographie d'une laideur sans nom, qui voudrait recréer la beauté lisse des voitures de l'époque et leur rutilance mais n'arrive qu'au niveau d'une Renault Twingo. De la même manière le rythme effréné du montage, lassant de toute évidence, se confronte à l'ambition tragique voire semi-intimiste du film: les dix plans par seconde conviennent peu quand il faut s'attarder sur le visage enflé d'un Elvis ravagé par la drogue, l'anxiété et l’obésité. Ces nécroses cinématographiques sont d'autant plus regrettables qu'elles témoignent bien de l'enfermement néfaste dans le biopic du long-métrage: la photographie numérique et fulgurante devient bien kitsch commercial.

En effet, comme avec la plupart des biopics, la promesse d'une vision unique d'un artiste est alors brisée par la convoitise mercantile des producteurs, se suffisant à l'image connue des célébrités. Il en va ainsi ici de l'esthétique aseptisée remplaçant la teneur punk promise. L'appellation n'est donc aucunement vaine, tant le film ne dépasse jamais le genre, et au contraire se fait rattraper par celui-ci, véritable carcan. On n'est alors nullement surpris de voir surgir des scènes pseudo-dramatiques, faisant appel aux ficelles scénaristiques et musicales du pathos le plus détestable, mêlant aux violons exaspérants jets de capsules de médicaments et cris.

On est bien déçu de voir cependant comment au sein même du développement narratif du film l'empreinte de Luhrmann disparaît à mesure que la narration par le «colonel», Tom Hanks affublé d'une prothèse et d'un accent néerlandais, promettant un point de vue original, laisse place au déroulement habituel et à l'antagonisme primaire du méchant producteur. Celui-ci se retrouve pourtant bien plus souvent derrière la caméra que devant.

En trois longues heures, le massacre industriel a de cette manière lieu, et l'on a vite fait de comprendre l'échec de Luhrmann, à la fois libéré de ses fléaux habituels par son thème et enfermé par son genre. Mais cette défaite est d'autant plus marquante dans un film qui se voudrait par moments auto-référentiel. Ainsi, toute la partie sur Hollywood, l'usine à rêves dans laquelle Presley se confine, témoigne autant d'une volonté de montrer la manière dont l'histoire américaine s'y reflète spontanément (on évoque ségrégation, mort de Martin Luther King et assassinat de JFK) que de celle de retrouver de nos jours une splendeur dans le divertissement. Double échec: l'histoire n'est plus reflétée, elle est survolée dans des discours convenus et synthèses visuelles parfois efficaces, souvent superficielles (le plan qui oppose le bordel à l'église dans un quartier défavorisé, plus la tard la banderole qui sépare blancs et noirs), le divertissement n'est plus revigorée, il s'affaiblit même, simplement indigeste, paradoxalement mou, tel un moteur qui cale, en tout cas d'une fadeur franchement dispensable.

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le 2 juil. 2022

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