Elle et moi
4.9
Elle et moi

Film de Guy Lefranc (1952)

Ah, tout ne s'annonçait pas si mal. Scène d'introduction, le personnage de François Périer est interpelé par la caméra, il lui répond, il est interrompu, agacé, par la musique du générique, et décide alors de partager, faute de pouvoir le faire verbalement, son avis, à travers son langage corporel, sur les noms de la distribution s'affichant à l'écran.


Le réalisateur Guy Lefranc a débuté sous les bons auspices de l'immense Louis Jouvet, qu'il a dirigé à deux reprises, dans ce qui constitue les toutes dernières apparitions du Maître au cinéma, le fameux Knock (dans lequel le comédien joue une seconde fois pour le septième art le rôle du médecin pour qui "tout bien portant est un malade qui s'ignore" !) et Une histoire d'amour. Après, il s'est enseveli sous l'impersonnalité la plus totale dans une série de comédies d'une qualité fort médiocre et qui sont tombées dans l'oubli depuis, à l'instar de ce Elle et moi.


Bon, l'histoire, c'est celle d'un célibataire endurci qui s'éprend de Miss Chieuse 1952 et l'épouse, à son grand désespoir… Ben ouais, certains hommes ne peuvent pas s'empêcher d'être attirés par les chieuses, en toute connaissance de cause...


Il y a pourtant de très bonnes choses là-dedans, mais noyées dans un ensemble mauvais. Je pense à la séquence du début, déjà évoquée, à celle avec Louis de Funès (lors d'une période d'enchainement de troisièmes rôles d'une minute de présence max !), en garçon de café, devant embrasser le personnage de Dany Robin pour rendre jaloux ce qui est, à ce moment-là, son fiancé, à celle du mariage lors de laquelle nos deux tourtereaux, à cause d'une panne mécanique et de ses suites, ont des habits de cérémonie peu glamours, à celle de l'échange de crachats de venin entre l'épouse et une ex de son époux, dont les relations pleines de fiel se transforment d'un coup en franche amitié, quand elles se décident plutôt à cracher toutes les deux leur venin sur le pauvre mari. J'aurais adoré aimer ce film du fait de ces petites perles de drôlerie disséminées par-ci par-là.


À cela, on peut reconnaître, timidement à l'oreille, la patte d'un pas encore connu Michel Audiard, au détour d'un dialogue nocturne entre François Périer et Noël Roquevert, où son goût prononcé pour l'argot et les accumulations est présent, ou encore par une anaphore sortant de la bouche de Jean Carmet.


En fait, le problème global, extrêmement dommageable du film, c'est que ce dernier donne davantage l'impression d'une suite de sketchs très mal reliés entre eux, avec les deux mêmes protagonistes (à savoir notre couple !), sans cesse en train de se chamailler, pour seul point commun, que d'une intrigue menée avec cohérence du début jusqu'à la fin.


Ce qui a pour conséquence que les situations ne sont jamais approfondies (par exemple, la folie du personnage de Roquevert semble sortir d'un coup, de nulle part, au lieu de la mettre en scène de manière progressive pour qu'elle puisse couler de source... avec en prime une touche de farfelu lors de sa dernière scène n'ayant pas sa place dans un ensemble avec un humour se voulant un peu plus "réaliste" !), que les personnages secondaires ne sont pas pleinement exploités (je pense, entre nombreux autres, à l'ami pique-assiette incarné par Carmet !).


En outre, les deux protagonistes se plaignent de ne pas avoir de thune, n'en n'ont pas, tout en parvenant, sans le moindre degré de vraisemblance, à s'acheter un hôtel particulier, des meubles pour le meubler, à embaucher des domestiques. Euh, ce genre de trucs se paye avec de l'argent, beaucoup, énormément, des tonnes et des tonnes d'argent, alors on peut savoir comment ils réussissent à maintenir ce train de vie ? Parce qu'en plus aucun des deux paraît exercer la moindre profession. Je ne sais pas moi, mais il aurait peut-être fallu creuser cet aspect des choses.


Ah oui, et à quoi ça sert que Périer fasse son Ferris Bueller quand le film démarre si cela ne revient pas du tout narrativement par la suite.


Bon, qu'est-ce qui pourrait encore plus enfoncer le film dans la nullité ? Oh, si on y ajoutait un bon gros soupçon de racisme mettant bien mal à l'aise ! Par le biais d'un domestique noir qui est dans le stéréotype du "bon sauvage", parlant et se comportant forcément comme un débile à un point que cela ferait passer Tintin au Congo pour un summum de subtilité ethnographique.


L'idée de départ était charmante ainsi qu'enthousiasmante (le pauvre homme tombant dans les filets d'une trop craquante chieuse !), François Périer est un comédien à l'aise dans le registre comique, tout comme Dany Robin (qui est, au passage, imbattable pour déchirer grave niveau élégance à la française des années 1950 !). Le casting des seconds rôles fait baver d'envie. Il y a quelques petites perles (déjà dit !). Mais en manquant absolument de rigueur en ce qui concerne les règles les plus basiques de l'écriture scénaristique (et en n'évitant pas le racisme aussi !), Elle et moi est un ratage.

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le 8 févr. 2023

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Plume231

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