10ème réalisation de Gus Van Sant, Palme d'or et prix de la mise en scène à Cannes en 2003, Elephant est unanimement reconnu comme l'un des meilleurs films des années 2000. Cependant l'impact provoqué, son propos reste malheureusement encore d'actualité plus de 10 ans après sa sortie en salles.
Grandement inspiré par la fusillade perpétrée le 20 avril 1999 par dexu adolescents au lycée Columbine, faisant 13 morts, Elephant suit le parcours de plusieurs élèves dans un lycée de Portland au cours d'une journée qui se terminera dans l'enfer d'une tuerie menée par deux de leurs camarades. Ce fait divers qui secoua l'Amérique avait déjà inspiré l'année précédente Michael Moore pour son Bowling for Columbine (également distingué à Cannes). Mais là où Moore privilégiait une approche documentaire postérieure aux événements afin de pointer du doigt les facteurs ayant pu conduire les deux adolescents à ce jeu de massacre ; Van Sant quant à lui utilise la fiction et peut de cette façon présenter les faits antérieurs à la fusillade (notamment l'achat des armes et la préparation du plan d'attaque).
Ainsi dans la première partie du film, lorsque la caméra suit librement les déambulations des élèves dans le lycée, Alex (l'un des futurs assaillants) nous est présenté comme un adolescent isolé, assis seul au fond de la classe, et victime de harcèlement de la part des sportifs du lycée (sujet éminnement contemporain au vu des récentes campagnes anti-harcèlement scolaire menées par le gouvernement). Cependant bien qu'animé par un désir de revanche sociale envers ses détracteurs qu'il qualifiera d'ailleurs de "plus belles cibles", le personnage d'Alex n'est pas représenté comme un meurtrier sanguinaire mais bien comme une victime de la cruauté des adolescents les uns envers les autres. En effet lorsque qu'il joue du piano dans sa chambre et que la caméra effectue un panoramique circulaire, on se rend compte que sa chambre pourrait être celle de n'importe quel jeune de son âge. On remarque toutefois que cette chambre est située au sous-sol isolant Alex au sein même de sa famille. Ce sont donc deux institutions symboles de sécurité et de soutien , l'école et la famille, que critique Van Sant. En effet, même dans ces lieux censés permettre l'épanouissement personnel (on retrouve ici la question de la quête identitaire chère au réalisateur) des individus se retrouvent mis à l'écart. Idée métaphorisée par la construction spatiale du film qui à travers de longs travellings et plan-séquences nous ramène toujours aux mêmes endroits, le lycée constituant un véritable labyrinthe. De plus il faut noter la faillite des figures adultes mise en avant par le film où les professeurs et les parents sont soit absents soit incompétents, laissant les adolescents livrés à eux-mêmes.
Cependant ce n'est pas uniquement l'environnement direct des assaillants qui est mis en cause dans le film. Tout comme dans l'enquête menée suite à la fusillade de Columbine, des facteurs sociétaux viennent s'ajouter à la piste principale du harcèlement pour expliquer leurs actes. Ainsi comme le faisait aussi Bowling for Columbine, Elephant amène une réflexion sur notre société et notamment la violence à laquelle sont confrontés quotidiennement non seulement les jeunes mais la population entière. Tout d'abord c'est le problème typiquement américain de la vente légale d'armes qui est mis en avant. Les deux tueurs n'ont aucun mal à trouver un site où en acheter et lorsque le vendeur vient les leur livrer celui-ci ne semble pas perturber par le fait de les remettre à des mineurs. Ensuite ce sont les médias et les messages qu'ils véhiculent qui sont critiqués. En premier lieu les jeux vidéos et surtout les jeux de guerre dans lesquels tuer des gens est un but pour avancer. La déconnexion opérée par les jheux vidéos sur les esprits sera symbolisée lorsque Alex dira avant la fusillade à son complice que le plus important est de s'amuser. C'est d'ailleurs ce deuxième personnage, Eric, qui semble le plus réceptif aux messages négatifs transmis par les médias et la société, fonctionnant de pair avec le personnage d'Alex qui incarne plutôt les conséquences d'un environnement diretc défaillant. En effet de par sa tenue (tee-shirt blanc, pantalon bleu, cheveux blond platine) Eric est le représentant d'un certain public impacté directement par les textes des rappeurs sans faire preuve de recul. Cette tenue étant celle arborée par Slim Shady l'alter ego raciste, homophobe et violent créé par Eminem au début des années 2000. C'est égalemetn Eric qui jouait au jeu vidéo et qui semble le plus fasciné par la télévision et la propagande nazie qu'elle diffuse. On remarque d'ailleurs que sur la télé sont posés des légumes miniatures comme pour dire que celle-ci diminue notre intelligence. Il a été reproché également à Gus Van Sant d'évoquer une potentielle homosexualité refoulée entre Alex et Eric ce qui n'était pas le cas chez les vrais assaillants. Cette indignation n'a pas lieu d'être étant donné qu'Elephant est une fiction uniquement inspirée de faits réels. Le réalisateur ne fait que soulever un autre problème sociétal (déjà très présent dans son oeuvre cf My own private Idaho, Harvey Milk) qui aurait pu mener aux mêmes conséquences.
Or il serait réducteur de résumer Elephant au parcours de deux adolescents perturbés. En effet c'est là la grande intellignece de ce film, tous ces facteurs évoqués précédemment ne sont pas propres à Alex et Eric, on en retrouve certains chez d'autres élèves suivis au cours de l'histoire. Ainsi, dès la première scène, John est contraint de prendre le volant à la place de son père car celui-ci est ivre. On croise ensuite un couple de métalleux, musique critiquée pour sa violence. Ou encore le personnage de Michelle, victime elle aussi de harcèlement scolaire et qui pourtant sera la première tuée dans la fusillade. L'idée étant de dire que tout les jeunes ont en eux les germes de ce qui pourrait devenir une folie meurtrière et que la bascule peut survenir à tout moment.
Elephant est donc un appel au secours lancé par Gus Van Sant au gouvernement et à toute forme d'institution afin de protéger la jeunesse des dérives d'une société isolatrice et ultra-violente.

Nico6
10
Écrit par

Créée

le 3 avr. 2016

Critique lue 517 fois

1 j'aime

Nico6

Écrit par

Critique lue 517 fois

1

D'autres avis sur Elephant

Elephant
Sergent_Pepper
7

Parcours par chœurs.

Du premier au dernier plan, Elephant s’impose comme une étrange mécanique, un objet hybride qui prend le parti de nous emmener hors des sentiers battus et de fouler au pied les attentes dont il peut...

le 1 mai 2015

104 j'aime

3

Elephant
Pimprenelle
5

Esthétique mais chiant

Je ne suis pas un esthète, j'aime les films qui racontent une histoire. Elephant est un peu une exception à cette règle. Car du film, c'est vraiment l'esthetique qui en est l'aspect le plus marquant:...

le 16 févr. 2011

87 j'aime

15

Elephant
Deleuze
8

La loi du lycée

Elephant est en quelque sorte l’évolution de Freaks (1932) projetée dans le monde moderne. Je parle d’évolution sans avoir la prétention d’affirmer une hausse qualitative mais plutôt avec la...

le 15 sept. 2013

62 j'aime

8