Ce film est sorti en 2003. J'ai vécu presque douze ans sans prendre la peine de m'y attarder et - chose assez exceptionnelle pour être soulignée - sans que personne ne m'en parle, ne me le conseille (les mauvaises langues diront que cela est dû à la médiocrité du film, j'anticipe) ou ne me spoile. En le repérant dans de nombreuses listes sur SC, je me suis enfin décidée à le voir car j'avais envie de découvrir le travail de Gus Van Sant, que je connais très peu.


Dès les premières minutes, il se passe quelque chose alors que, paradoxalement, il ne se passe presque rien: le ciel, une voiture qui zigzague, un père qui a trop bu au volant dont le fils semble devoir s'occuper et puis, un lycée. À partir de là, on entre dans ce microcosme à la fois banal, stéréotypé et fascinant: l'école où grouillent des centaines d'étudiants qui vaquent à leurs occupations. Qui marchent dans de longs couloirs. Qui mangent au réfectoire. Qui se moquent. Qui souffrent. Qui vivent, finalement. Et cela pourrait être d'un ennui total, d'autant plus que certaines scènes identiques sont montrées sous différents angles. Pourtant, on (je, en tout cas) suit tout ce petit monde avec le plus grand intérêt parce que... ça pue la merde à plein nez! On pressent le cataclysme arriver, on perçoit qu'il va se passer quelque chose de tragique.


Ce qui m'a particulièrement touchée dans ce film, c'est le contraste entre la vie, l'innocence qui animent tous ces êtres et, dans les dernières minutes, le chaos total et l'anéantissement causés par ces deux jeunes qui décident de jouer leur jeu vidéo dans la vraie vie en butant de sang froid des dizaines d'élèves et professeurs, au hasard. On ne voit presque rien de cette horreur sans nom mais on devine tout, le sang glacé, assommé par l'abrutissement provoqué par cette question: pourquoi? Quelle est la motivation de ces deux assassins en herbe? La vengeance, le plaisir, le mépris, la haine? Ont-ils été rejetés, incompris, délaissés par la société, l'école, leurs camarades? Sont-ils "simplement" des psychopathes en puissance? Les deux tireurs sont tellement déshumanisés, comme des robots qui appuient sur leur gâchette qu'on voudrait comprendre ce qui a pu provoquer cette réaction disproportionnée et cruelle. Le réalisateur ne nous apporte aucune réponse, ce n'est pas le propos. D'ailleurs, est-ce un film sur cet attentat abominable à Columbine en 1999 ou sur l'adolescence, les expériences?


Tout est admirablement filmé - on peut s'impatienter devant les longs plans des personnages qui marchent, de dos, longtemps - dans un mélange de pudeur et de poésie. Si je devais souligner deux aspects qui m'ont moins emballée au sujet d'Elephant, je mentionnerais la scène où l'on voit les futurs assassins en train de jouer à un jeu vidéo qui consiste à tirer sur des gens qui s'enfuient, dans le dos et en train de visionner un reportage sur le nazisme et Hitler. Ces passages m'ont un peu dérangée car on pointe souvent du doigt la violence que peuvent provoquer la télé et les jeux vidéo chez les jeunes - vaste débat - alors qu'ils ne sont peut-être que la partie visible de l'iceberg. Il faut cesser de trouver des prétextes pour ne pas se responsabiliser (société, parents, jeunes, etc.) et chercher les véritables causes de ces malaises profonds. J'en reviens ici à essayer de comprendre ce qui peut pousser des ados à commettre le pire, mais je m'égare.
La deuxième chose qui me "chipote", c'est l'affiche du film. Je ne la comprends pas. Elle est peut-être une des raisons pour lesquelles le film ne m'attirait pas. Quel dommage, du coup!


Enfin, le tort est réparé, mieux vaut tard que jamais et je suis ravie d'avoir pu apprécier ce film sans avoir été influencée par qui que ce soit.


Oh, et une dernière chose à souligner: ce piano!!! Un vrai délice. Merci Gus!

Laurence_Pandiella
8

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Créée

le 11 avr. 2015

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