Un plan séquence d'ouverture virtuose, un lycée labyrinthique, vide, jaune et vert, une fusillade finale aussi soudaine qu'incompréhensible. Le film enchaine les effets esthétiques, croise la narration en suivant différents personnages, se focalise sur ces quelques heures avant le drame. Le plus étonnant des effets de Gus Van Sant réside dans sa capacité à éluder le sujet du film. Il s'attarde sur moult détails, différentes facettes des personnages. Il nous fait oublier son but final.


Ce qui intéresse Gus Van Sant ce n'est pas le drame en lui-même, ce sont les prémices du drame et la manière dont il s'insinue. Il décrit ainsi le parcours, la journée somme toute normale de différents personnages, adolescents, au sein d'un lycée qui est démesurément grand. Le point de vue adopté est bien souvent celui de l'élève en question, si bien que l'on plonge dans sa tête, dans son histoire. Puis il croise une personne, que l'on se met alors à suivre. Les évènements, les histoires et les destins s'entrecroisent. On se perd un peu. Le drame, lui, avance, petit à petit et finit par éclater, alors qu'on ne l'attendait plus. C'est le choc, c'est d'une violence inouïe, précisément par l'effet qu'a ménagé le réalisateur tout le long du film : banaliser, normaliser l'histoire, faire comme si de rien n'était, en suivant une journée comme les autres tout en utilisant un point de vue interne.


Mais il y a un autre objectif. Gus Van Sant veut faire de ce film une dénonciation politique : « Elephant, c'est ce qui se voit comme le nez au milieu de la figure, mais ce que tout le monde souhaiterait bien occulter", insistant sur l'aspect aliénant du système éducatif américain. C'est également pour cette raison que le lieu de la fusillade, qui s'est réellement déroulée n'est pas mentionnée. Le lycée est un lycée parmi tant d'autres. Il est l'archétype du lycée en quelque sorte. Loin de l'anecdote, le réalisateur veut universaliser son propos et sa dénonciation. De la même manière, il ne fourni aucune explication, ne donne pas d'indice sur le pourquoi du comment ou si peu qu'ils ne peuvent expliquer l'horreur de la situation. Cela se produit, au beau milieu de la plus affligeante des normalités. C'est là tout le crédit du film précisément.


Il en résulte un film profondément marquant, tant par son parti pris esthétique que son message, déprimant, terrifiant. Gus Van Sant aime la déréliction, la jeunesse qui s'étiole, la violence confuse et froide. Loin de raconter une quelconque fusillade dans un lycée américain, le réalisateur veut dénoncer une sorte d'aliénation, rendue d'autant plus visible qu'il nous fait entrer dans la peau de ses personnages au point de nous faire vaciller lorsque la violence éclate aussi soudainement qu'un orage, au beau milieu du jour, dans la tranquillité lénifiante du quotidien.

Tom_Ab

Écrit par

Critique lue 348 fois

3

D'autres avis sur Elephant

Elephant
Sergent_Pepper
7

Parcours par chœurs.

Du premier au dernier plan, Elephant s’impose comme une étrange mécanique, un objet hybride qui prend le parti de nous emmener hors des sentiers battus et de fouler au pied les attentes dont il peut...

le 1 mai 2015

104 j'aime

3

Elephant
Pimprenelle
5

Esthétique mais chiant

Je ne suis pas un esthète, j'aime les films qui racontent une histoire. Elephant est un peu une exception à cette règle. Car du film, c'est vraiment l'esthetique qui en est l'aspect le plus marquant:...

le 16 févr. 2011

87 j'aime

15

Elephant
Deleuze
8

La loi du lycée

Elephant est en quelque sorte l’évolution de Freaks (1932) projetée dans le monde moderne. Je parle d’évolution sans avoir la prétention d’affirmer une hausse qualitative mais plutôt avec la...

le 15 sept. 2013

62 j'aime

8

Du même critique

La Passion du Christ
Tom_Ab
8

Le temporel et le spirituel

Le film se veut réaliste. Mais pour un film sur le mysticisme, sur un personnage aussi mythique, mystérieux et divin que Jésus, il y a rapidement un problème. Le réel se heurte à l'indicible. Pour...

le 26 déc. 2013

58 j'aime

4

The Woman King
Tom_Ab
5

Les amazones priment

Le film augurait une promesse, celle de parler enfin de l’histoire africaine, pas celle rêvée du Wakanda, pas celle difficile de sa diaspora, l’histoire avec un grand H où des stars afro-américaines...

le 7 juil. 2023

47 j'aime

3

Silvio et les autres
Tom_Ab
7

Vanité des vanités

Paolo Sorrentino est influencé par deux philosophies artistiques en apparence contradictoires : la comedia dell'arte d'une part, avec des personnages clownesques, bouffons, des situations loufoques,...

le 31 oct. 2018

29 j'aime

4