Critique rédigée en mai 2020


Au lycée américain de Columbine, un choeur de jeunes gens archétypaux constitué entre autres de Michelle, fille disgracieuse mal dans sa peau, Alex, jeune garçon agoraphobe brimé par ses camarades, Elias, photographe passionné, et John, blond de pure souche en conflit avec ses parents, vivent leur vie d'étudiant une dimension spatiale perçue par le spectateur. Ils ignorent alors quasiment tous le malheur dont l'établissement s'apprête à faire face. En effet, au mauvais endroit au mauvais moment, une dizaine de ses élèves et deux personnels de la vie scolaire se retrouvent pris au piège par Alex et Eric, les deux parias...


Projet lauréat de la Palme d'or du festival de Cannes édition 2003, s'appuyant sur les normes du teen movie et sur un fait réel tragique survenu en 1999 pour explorer progressivement une question existentielle, Elephant est une vive réponse aux questions suscitées par le parti républicain américain, auquel le titre fait implicitement écho.


Depuis le vertigineux labyrinthe spatio-temporel aménagé par une narration étalée sur les 75 minutes de film, il peut sembler à vue d'oeil qu'il ne s'y passe rien de décisif (Gus van Sant proposant des variations de ses scènes), mais la structure nous invite à approfondir la question du point de vue abordé en soulignant l'importance du moment relaté.


Tout en accompagnant ses personnages tout au long d'une matinée désolante, le cinéaste leur accorde certains instants de répit privilégiés, notamment le ralenti suscité par le jeu entre le chien et John, ou encore la rencontre entre ce dernier, Elias et Michelle, à l'instant où tout contact social au sein de l'établissement scolaire commence à se dissoudre.


Les protagonistes sont mis sous le feu des caméras à travers la fluidité des mouvements de caméra et les variations des ambiances produites par la lumière. La longueur de certains plans(-séquences), aussi déroutante soit-elle, nous sensibilise à cet enjeu, par rapport à la destinée des antagonistes. Au cours de leurs quelques instants de gloire, les brimades dont sont victimes les deux futurs assassins se retrouvent noyées dans le brouhaha du public, tel un mal passé sous silence.


Alexander au cours de la séquence de la cafétéria, subit l'une des seules manifestations de son mal de vivre par la compression sonore écrasant son rapport avec autrui: le brouhaha remplit l'espace et semble littéralement noyer le jeune homme.


Au moment du climax de cette histoire au traitement prestigieux, les plans s'élargissent, posant une borne à une large portion d'espace autour de ses personnages anéantis au fur et à mesure de la fusillade. La solitude de chacun, mise en lumière par le minimalisme des jeux de regards et de dialogues, arrive au point mort dans cette séquence d'une brutalité suprême et dont la vivacité surpasse nos attentes.


Faux-raccords à outrance (paradoxes temporels, interrogations suscitées par le manque de vie de la vie scolaire laissant sur la faim) pardonnés par un montage unique en son genre, discours acerbe sur la politique et la jeunesse américaine, le tout dans un réalisme à fleur de peau, Elephant est une oeuvre puissance et actuelle. Dans son rapport à l'univers adolescent, ce film envoûtant et bouleversant relève d'une expérience spatiale et temporelle en filature, aux limites d'accuser nous spectateurs, des maux qui y sont endurés.

Créée

le 18 déc. 2020

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