El
7.4
El

Film de Luis Buñuel (1953)

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Dans lequel la religion crée un monstre

El raconte l'histoire de Francisco, un homme riche, dont le patrimoine est en jeu dans un procès mal engagé, qui est victime d'un coup de foudre pour Gloria, qu'il rencontre à l'église. Il finit par retrouver sa trace, l'invite avec son fiancé Raoul à une soirée chez lui et fait sa conquête. Quelques temps plus tard, Raoul, qui a oublié Gloria en travaillant dans le pétrole, revient à Mexico et tombe par hasard sur Gloria, hagarde, l'air vieillie. Elle lui raconte que sa vie est devenue un enfer, car Francisco est fou de jalousie et maltraite sa femme, alternant insultes, manipulations et menaces physiques.


S'ensuit un flashback, où Gloria explique les premier signes, pendant la lune de miel, où le fait que Gloria rencontre par hasard une vague connaissance, qui se trouve être leur voisin d'hôtel amène une scène très gênante. Puis les mois de réclusion car Francisco n'aime pas la mère de Gloria. Puis cette soirée où le mari pousse Gloria à danser avec son nouvel avocat, pour être ensuite traitée de traînée et violée par son mari. Le désespoir en voyant que Francisco arrive à persuader son entourage (le curé, jusqu'à sa mère) que c'est Gloria qui se conduit de manière légère. Il fait mine même de tirer à blanc sur elle pour la terroriser. Alternant crise de faiblesses (son procès s'annonce perdu) et délires autoritaires, il amène Gloria en haut du clocher de Mexico, et fait mine de vouloir l'étrangler et la faire basculer dans le vide. Fin du flashback. De retour chez elle, Gloria, qui explique qu'elle ne peut fuir car son bourreau lui fait pitié, subit un nouvel accès de jalousie car Francisco l'a surpris avec Raoul. Après un dernier accès (son mari a essayé de l'étrangler avec une corde dans son sommeil, Gloria fuit. Fou de rage, Francisco déambule dans les rues de Mexico, en proie à des visions délirantes. Il croit que toute l'église se moque de lui et essaie d'étrangler le prêtre.
Ellipse. On voit Gloria, Raoul, et un enfant qui pourrait être celui de Francisco (en tout cas il porte le même nom) s'arrêter devant un monastère. C'est là que Francisco, qui a renoncé à la vie, s'est retiré. Le dernier plan le montre zigaguant en robe de bure vers un porche noir, entre deux allées de verdure, parabole de son destin scellé.


Ce film est une des charges les plus frontales de Bunuel contre la religion catholique. Le début est très fortement marqué par le poids de l'Eglise sur la société. J'admire la capacité de Bunuel de filmer les catholiques comme si c'était des papous. La psychose de jalousie, visible dès la scène du train, est clairement un symptôme d'aliénation par la religion : Francisco considère Gloria comme un corps, qui a pu passer dans d'autres mains que les siennes, et exige qu'elle confesse ses amants précédents, en lui promettant de la pardonner. Son obsession de la pureté, et sa virginité trop longtemps gardée, le rendent instable, autoritaire et puéril, comme tout homme inquiet pour sa virilité. L'épilogue, qui pourrait donner raison à la religion, est au contraire le couronnement de sa critique : devenu inadapté, Francisco n'a plus qu'à retourner dans le giron de l'Eglise, la seule qui puisse lui assurer une vie après avoir ruiné la sienne. Les personnages de prêtres, comme toujours chez Bunuel, sont de fieffés hypocrites : ici, un goinfre qui fait culpabiliser une épouse ayant subi un viol conjugal.


Peu d'audace formelle, si ce n'est, à 23 min du début, un plan saisissant où Francisco et Gloria se parlent en regardant par une fenêtre, mais nous voyons leurs lèvres bouger sans entendre leurs paroles. Le film, financé par la Columbia, fait très "Hollywood, années 1950", avec un jeu d'acteur intense, de beaux intérieurs reconstitués en studio, une musique dramatique. Les éclairages ont des tendances expressionnistes, surtout dans les cages d'escalier, assez nombreuses (et qui portent une symbolique sexuelle, à n'en pas douter).


El n'est clairement pas le plus intense des Bunuel. C'est un film psychologique, un drame conjugal, sous-tendu par une critique féroce des ravages de la religion catholique, castratrice, sur la psyché.

zardoz6704
7
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le 18 déc. 2016

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zardoz6704

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