Si le film s'ouvre dans une atmosphère de conte, à laquelle la musique de Danny Elfman, riche en chœurs éthérés, n'est pas étrangère, la première partie du récit ménage de vrais moment de comédie:

Comment vivre la vie de tous les jours avec des ciseaux acérés en guise de main (des ciseaux qui sont à la fois un outil et une menace) ? Comment porter la nourriture à sa bouche ?

Très vite, Edward tire pourtant parti de sa particularité: il est un émérite tailleur de haies, sculptant d’étonnantes figures animales dans les jardins proprets; il devient aussi le coiffeur de ces dames, jamais à court d'imagination pour d'extravagante mise en pli.
Se faire coiffer par lui devient même un enjeu érotique: être à la merci des lames tranchantes procure à ces Desperates Housewives américaines un délicieux frisson - qu'elles ne pardonneront finalement pas à Edward.

L'inquiétant n'est jamais loin de l’extraordinaire: la même sculpture végétale en forme de dinosaure prend la nuit tombée une allure terrifiante .
La même réalité peut être vue comme inoffensive ou dangereuse selon qui la regarde...

De fait, si le tournage a lieu en Floride, dans des décors naturels juste repeint d'insolites teintes pastels, c'est bien au Burbank de son enfance qu'a pensé Tim Burton en imaginant la petite bourgade du film.
On est bien dans une topographie de l'imaginaire: la fable possède ici une frontière commune avec la réalité la plus ordinaire.
Car Edward aux mains d'argent est peut être le film de Tim Burton qui décrit le plus fidèlement une certaine American way of life pavillonaire.

La satire social est là qui fait place à une dénonciation violente de l'obscurantisme, mais le regard de Tim Burton est d'abord tendre envers ses personnages, et il règne tout au long du film un curieux sentimentalisme.
L'épilogue en fait même un mélo assez efficace... C'est la simplicité du récit qui le rend riche et polysémique, fable contre l'intolérance, donc, autoportrait à peine masqué, peinture d'un état d'adolescent comme pour ceux qui l'entourent, etc.

Johnny Depp, qui offre une prestation digne du cinéma muet: souvent réduit à l'immobilité - chaque geste mal calculé pouvant avoir des conséquences désastreuses -, son expressivité passe par le regard, tour à tour innocent, perdu, effrayé ou en colère.

C'est Charlot qui rencontre Nosferatu.

OuaZz
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le 5 janv. 2019

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