S’il y a bien un film à aller voir dans cette pleine saison bourrée de blockbusters de plus ou moins bonne qualité, c’est bien cet Edge of Tomorrow de l’inattendu Doug Liman dans le registre. Il faut dire que si le réalisateur a de la bouteille dans le film d’action et d’espionnage (La Mémoire dans la Peau), ces films ne reçoivent généralement pas l’aval de la critique comme en témoigne le médiocre Mr & Mrs Smith ou l’immangeable Jumper. Doug Liman a tout du réalisateur à la sauvette capable du correct comme du très mauvais mais il trouve avec Edge of Tomorrow un matériau formidable pour faire allusion à une culture vidéoludique toujours plus présente dans la culture populaire, ainsi qu’un incroyable sujet de scénario qui fait rêver Hollywood depuis Un Jour sans Fin, l’éternel recommencement d’une journée. A l’inverse du récent X-Men : Days of Future Past qui traitait du voyage dans le temps et des conséquences dans le futur avec l’incohérence la plus totale, Edge of Tomorrow a le mérite de ne traiter que le passé et son recommencement, ce qui permet d’éliminer d’office de nombreuses erreurs de cohérence scénaristique. Le film s’appuie avant tout sur le livre d’Hiroshi Sakurazaka, All You Need is Kill, petite pépite de science-fiction japonaise selon les lecteurs. Si la bande-annonce avait déjà de bons éléments pour susciter le déplacement, il y a toujours cette crainte qu’Hollywood avec ses gros sabots ne s’approprie le matériau original pour n’en tirer qu’un film coûteux, désaxé, sans saveur et sans lien avec l’œuvre originale. Mais Edge of Tomorrow s’avère être une agréable surprise et un divertissement de très bonne facture agrémenté d’un scénario intéressant et de très nombreuses références vidéoludiques.

Il faut dire qu’avec sa caractéristique de recommencer sans cesse une journée, le film renvoie clairement au bouton « restart » d’un jeu vidéo qui permet de recommencer un niveau en prenant conscience de ces erreurs pour ne plus les commettre. Edge of Tomorrow tire son essence d’un niveau tout ce qu’il y a de plus classique dans n’importe quel jeu vidéo avec sa dose d’obstacles, d’ennemis à abattre et d’objectifs à remplir. Et dans son scénario autant que dans son traitement de l’action, les gamers y trouveront de nombreuses références à des jeux vidéos actuels, tel Gears of War ou Vanquish pour ma part. Certaines séquences sont typiquement calquées sur des genres vidéoludiques précis, que ce soit la scène en avion à Paris qui renvoie à du rail-shooting ou plus généralement l’ensemble du film qui fait très Third Person Shooter. Ces références crèvent l’écran mais permettent également au film d’exister pour ce qu’il est, un film de science-fiction et d’action efficace et maîtrisé. En ce qui concerne la mise en scène, on pourra pester contre l’aspect épileptique de certains moments du débarquement rendant l’ensemble parfois illisible. Difficile à dire si le cinéma dans lequel avait lieu la projection est responsable ou si la 3D du film est vraiment de mauvaise qualité mais je préfère recommander -si possible- la simple version numérique du film. De plus, d’autres l’ont signalé avant moi mais le film gère plutôt mal ses séquences en plein obscurité, certaines séquences de nuit étant totalement brouillonnes. Doug Liman a fait le pari d’omettre une vraie bande-son, un choix décrié par certains mais qui permet au contraire d’avoir affaire à un titanesque travail sonore sur les bruitages, rendant le film très immersif. Edge of Tomorrow reste généreux en termes d’action, survolté et boosté à l’adrénaline, en particulier la séquence de débarquement très impressionnante. Sans aller jusqu’à la comparer avec celle du chef d’œuvre de Steven Spielberg comme certains l’ont fait, du saut de l’hélicoptère jusqu’aux multiples morts à répétitions sur le champ de bataille, il s’agit là sans conteste de l’une des meilleures séquences du film. L’arrivée à Paris étant également très efficace. Sur ce point, le film en a vraiment dans le ventre et s’avère être le meilleur blockbuster de cette saison. De l’action débordante qui ravira assurément le public.

Si Doug Liman et son équipe ne l’ont pas encore ouvertement mentionné en conférences et interviews, Edge of Tomorrow tombe dans le timing parfait des commémorations des 70 ans du débarquement. Le film se fait donc l’éloge et l’hommage d’une guerre désormais lointain souvenir mais qui continue de hanter. Dans ce sens, et les internationaux apprécieront, le conflit ne prend pas place aux Etats-Unis mais bel et bien en France ainsi qu’à Londres. Une approche moins américano-centrée qu’à l’accoutumée qui a le mérite d’exister et d’être mentionné. Il faudra également compter sur la présence d’un personnage incarné par Emily Blunt au doux surnom de « l’Ange de Verdun », qui fera piqure de rappel pour Jeanne d’Arc, La Pucelle d’Orléans. Beaucoup noteront également le plan vif et bref de notre président actuel. Bien que joué par un casting exclusivement anglo-saxon, toute l’intrigue se déroule en et aux alentours de la France. Fait suffisamment rare pour être noté. Pour ce qui est du scénario, si les raisons du conflit restent plutôt floues malgré quelques brèves explications, il faut dire que le concept du redémarrage fonctionne à plein régime et Doug Liman agit comme un vrai réalisateur de blockbuster insufflant suffisamment de souffle à son film sans oublier d’y apporter une dose humour vraiment appréciable et une romance inévitable, quoique aseptisée. L’aspect répétition du film pouvait susciter des craintes mais il est parfaitement géré grâce à un travail de montage qui joue parfaitement l’équilibre sans s’avérer redondant. Au contraire, Doug Liman joue justement avec ces répétitions sans cesse pour apporter une dose amusante de second degré.

A la tête de Edge of Tomorrow, on retrouve un Tom Cruise en très grande forme et aux excellents choix de carrière depuis son retour sur le devant de la scène avec M-I : Protocole Fantôme. Il joue le jeu à fond, s’implique dans son personnage et si l’homme est discutable sur ses opinions politiques et religieuses, il faut reconnaître qu’il reste un très bon acteur, attendu avec impatience dans le prochain Mission Impossible de Christopher McQuarrie (qui officie ici sur Edge of Tomorrow en tant que scénariste). L’introduction du film est plutôt inattendue car le personnage de Tom Cruise nous est présenté comme un lâche, juste bon à communiquer auprès de la population pour les pousser à s’engager. Ce qui rend son personnage plus intéressant puisqu’une vraie évolution lui sera apportée tout le long du film. A ses côtés se trouve une Emily Blunt inhabituelle dans ce genre de film et plus particulièrement de rôle de badass malgré l’intéressant mais bancal Looper. Plus cantonnée aux comédies romantiques qu’au film d’action nerveux, Emily Blunt s’avère néanmoins être un très bon choix et joue les durs à cuire à cent pour cent. Un duo qui porte véritablement le film sur leurs épaules, le rendant d’autant plus jouissif. Car au fond, les enjeux de ce scénario sont ce qu’il y a de plus simplistes, profiter du pouvoir de redémarrage pour contrecarrer les plans de l’ennemi et gagner la guerre. Il n’y a pas plus de profondeur et malgré quelques tentatives pour pimenter la relation entre les deux personnages. Si le scénario s’avère bien exécutée, il n’en fait pas pour autant de Edge of Tomorrow un divertissement intelligent, de par une réflexion totalement absente du film. Mais le film reste au-dessus de la moyenne dans le genre et est suffisamment efficace pour se regarder avec grand plaisir.

Pour conclure cette pré-saison des blockbusters avant l’été, Edge of Tomorrow est assurément le divertissement idéal et efficace de ce mois de juin. Si le film manque de profondeur et la fin expédiée voire frustrante, Edge of Tomorrow est généreux en termes d’action, comportant quelques bonnes lignes de dialogues, des acteurs qui s’impliquent et s’appliquent à l’ouvrage, et suffisamment bien écrit pour rendre le film très sympathique, se démarquant de récentes séquelles et autres reboots. Le montage est par ailleurs remarquable tant il aurait pu s’avérer casse-gueule. Doug Liman nous prouve qu’il en a dans le ventre et qu’il est capable du meilleur avec ce blockbuster d’une efficacité redoutable.
Softon
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le 31 mai 2014

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Kévin List

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