Il existe plusieurs catégories de films populaires, tout comme il existe plusieurs façons de concevoir un film pour enfants.
Un film de science-fiction mettant en scène des enfants, habile moyen de joindre le merveilleux au touchant, a tout du cocktail gagnant assemblé dans une perspective avant tout commerciale.
La force d’E.T., et celle de bon nombre de films de Spielberg, et de mettre un savoir-faire imparable, à la fois esthétique et discursif, au service d’une œuvre populaire.
La magie est proposée d’emblée : le premier plan, inverse brutal de Rencontre du 3è type, nous met face à l’autre, et instaure comme un postulat l’existence du merveilleux, comme en témoigne ce plan d’ensemble de la ville contemplée par la créateure, devenue elle-même spectatrice de notre étrange monde. La tension qui s’installe n’est pas celle, propre au fantastique, du doute, mais bien de la cohabitation avec cette nouvelle réalité : la traque de l’extraterrestre, et son adoption par son double, Eliott.
On ne peut que saluer toutes les séquences qui suivent, après un prologue muet de 8 minutes, fondées toutes entières sur la puissance de fascination du visuel. La picturalité et la beauté du cadrage de l’ouverture sur la cabane dessine une scène fondatrice, par l’ouverture, l’invisible, le mouvement de la balle, la nature foisonnante des champs en arrière-plan, lisière annoncée de la forêt proche dans laquelle tout se jouera, comme dans les contes fondateurs. De la même manière, la découverte progressive de la créature joue habilement des codes du film d’épouvante, et explique en cela l’effroi d’une certaine partie du jeune public à la sortie du film (dont je fus, à cinq ans). Les longs doigts, le cœur rouge, le contre-jour et la silhouette, Spielberg ménage l’entrée de son personnage comme il le fera avec des dinosaures ou des aliens moins bien intentionnés dans La guerre des mondes.
L’autre malice du film est de faire cohabiter l’univers du conte et du film initiatique avec la pop culture. Film fondateur, E.T. construit sa propre mythologie, amenée à supplanter les intertextes qui la nourrissent : Halloween, le BMX, les comics, la télévision et la très contemporaine franchise Star Wars, sont l’univers d’Eliott et les référents d’un monde découvert par l’alien qui s’y alimente pour faire connaissance avec l’humanité. La porosité entre le réel et le cinéma ne cesse de s’accentuer, Eliott devenant la marionnette d’E.T. à distance, jusqu’à cette séquence assez incroyable de comédie musicale dupliquée dans la salle de classe.
E.T. est donc le film du dévoilement, l’instant de magie par lequel l’être invisible donne accès aux réalités les plus magiques (l’envol superbe du vélo devant la lune) et les plus humanistes du réel : l’amitié, l’amour, la solidarité. Jouet ultime, peluche de luxe, il est le merveilleux américain par excellence, non sans une once de leçon sur l’altruisme et la tolérance. La laideur et l’étrangeté de la créature, sa promximité avec l’étron assez impressionnante (« He comes from your anus », demande un camarade à Eliott) implique une atmosphère confinée et secrète. Le déguisement en fantôme rappelle à ce titre très clairement le voile de John Merrick dans Elephant Man.

A l’image des anges dans Les ailes du Désir que seuls les enfants peuvent voir, le grand frère explique à sa sœur que sa mère ne peut pas le voir, ce qui se réalise effectivement dans un premier temps, dans cette très belle et comique chorégraphie de la cuisine où les deux personnages cohabitent sans jamais prendre conscience de la présence de l’autre.
Cette transition, entre le dévoilement et la nécessité de se cacher, annonce la deuxième partie du film qui fonctionne par une brutale rupture et l’arrivée du monde des adultes dans le conte.
Le récit parallèle de la traque maintient subtilement la tension des scènes initiales et procède par échos muet à ce qui se joue dans le récit principal à l’image du motif du fil, qui dans la forêt instaure la communication d’E.T. avec les siens, et dans la maison branche la sphère intime sur le regard des figures d’autorité, le fil jaune plaquant violemment la chaise au mur. Ce genre de scènes, d’un symbolisme et d’une construction iconique frappants, sont la marque du génie de Spielberg, tout comme la splendide scène d’intrusion des hommes en combinaison dans la maison, contrepoint total à l’arrivée d’E.T., nu, faible et timide.
Dès lors, au dévoilement magique du début répond l’isolement : la maison est enveloppée, l’enfant et la créature intubés, et la magie cinématographique laisse place au cauchemar clinique, Eliott enfermés dans le moniteur ou le reflet du casque d’astronaute des adultes qui l’auscultent. Dès le départ, la monstruosité avait changé de camp, ce que confirme le virage radical que prend le récit, expérience de la maladie, de la séparation et de la mort.


(On notera quelques confusions, sans doute dues au montage du film : de la même façon que l’histoire d’amour entre Eliott et sa jolie camarade ne donne rien après leur baiser, les indices donnés par Peter Coyote sur le fait qu’il cherche E.T. depuis qu’il a dix ans sont-ils uniquement symbolique ou évoquent-ils un récit préalable ? Sur le même registre, le rôle de substitut du père qu’il semble occuper dans la scène finale, auprès de la mère, laisse supposer des scènes coupées entre eux).


La fuite qui en découle, extraction des bâches plastiques et du cercueil frigorifique assène la victoire de l’enfance, la puissance de l’amour vecteur d’une résurrection certes un peu trop christique, mais permettant surtout le départ et l’accès définitif du conte au statut de mythe : sur E.T se referme, en iris, le vaisseau qui l’emporte au ciel, envolée visuelle et lyrique. Ce qu’on ne voit plus reste dans le cœur, et le film peut se vanter d’avoir instauré cette part de rêve et d’espoir dans les rétines et les cœurs des enfants d’Hollywood, conteur des temps modernes.


Présentation détaillée et analyse en vidéo lors du Ciné-Club :


https://youtu.be/brnwM9g_B1w

Sergent_Pepper
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le 20 déc. 2013

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le 20 déc. 2013

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Sergent_Pepper

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