Comme les grands, comme Kubrick, comme Coppola, comme Spielberg, Christopher Nolan a voulu faire SON film de guerre. Tutoyer l’Histoire, histoire de montrer qu’il est un vrai auteur (puisqu’étrangement adulé, et loué comme tel, par une cohorte de fans plus ou moins hargneux au moindre doute exprimé), un auteur capable de tout faire (du thriller, du super-héros, du fantastique, de la science-fiction…) en croyant renouveler, intelligemment, le genre blockbuster et grand spectacle (alors qu’il ne fait qu’en reprendre les codes sans vraiment les transcender : musique pompière, gros effets et bouffées moralistes).


Dunkerque prend comme point de départ un épisode méconnu (mais néanmoins crucial, et déjà évoqué chez Leslie Norman et Henri Verneuil) de la Seconde guerre mondiale, l’opération Dynamo, qui vit le rapatriement, depuis les plages du Nord, de plus de 200 000 soldats britanniques (et plus de 100 000 soldats français), alors pris au piège entre terre et mer sous le feu des forces allemandes. Le récit use d’une chronologie en trois temps inutilement alambiquée (avec, dans les faits, la volonté de montrer trois points de vue différents des événements, mais ces contorsions temporelles, de Memento à Inception en passant par Interstellar, commencent désormais à sentir le réchauffé, à faire très gadget) qui cherche à donner au film une épaisseur, une certaine consistance.


Comme si Nolan avait peu confiance en son scénario (et, sur ce point, on lui donnera entièrement raison) et qu’il le distordait, à dessein, pour s’assurer d’une possible complexité prompte à amadouer le chaland (et la critique) alors qu’elle annihile, au contraire, tout sur son passage : le montage est chaotique (la dernière demi-heure est, à ce titre, une catastrophe), la tension s’impose rarement et aucun personnage ne parvient à nous toucher (tous sont des porte-costumes, de simples pions à disposer sur de belles plages étrangement immaculées). À l’inverse de presque tous ses films (de la trilogie Dark knight à aujourd’hui), les dialogues rares (Nolan s’est inspiré de plusieurs films muets pour la réalisation de Dunkerque) évitent ici tout manichéisme sur les sempiternelles notions de valeur, de courage et de sacrifice.


Mais Nolan semble ne pas pouvoir s’en empêcher et, dans un sursaut de bonne conscience, termine son film par un laïus lénifiant (tiré du journal d’époque) et les images risibles de la flottille civile anglaise arrivant, conquérante, sauver ces braves troufions sur fond de fanfare à la Vangelis. Sursaut imposant une sorte d’héroïsme XXL hors de propos (quand celui des soldats Français qui, en arrière-ligne, aidèrent à protéger l’évacuation, est mentionné du bout des lèvres, dans une vision assez unilatérale des faits avec mini-polémique à la clé. Très bon article sur le sujet à lire également ici) en conclusion d’un film censé décrire, à l’inverse, la déroute d’une armée face à l’ennemi entre sentiment d’abandon, petites lâchetés et instinct de survie. Sans parler du personnage de Tom Hardy érigé à la fin, dans un magnifique soleil couchant que n’aurait pas renié Michael Bay, en super combattant digne et valeureux (avec cette désagréable impression que c’est à lui seul que l’on doit tout le succès de l’opération).


Les scènes d’action, elles, se répètent jusqu’à l’ennui et l’épuisement, il y a des bateaux qui coulent et des batailles d’avions, puis d’autres bateaux qui coulent et d’autres batailles d’avions, puis d’autres encore et ainsi de suite. Pris au piège, tels ces soldats sur la plage, dans son envie de filmer le conflit en axes resserrés et séquentiels, Nolan ne sait finalement pas quoi raconter ni quoi faire pour passer le temps (voir par exemple la scène dans le bateau attendant la marrée, trop longue et accessoire. Et puis un détail ne trompe pas : fini les 2h30 habituelles de projection nolanienne, 1h47 suffisent ici à emballer l’affaire). Dunkerque est un film de guerre qui se veut survival patenté, lisse et insipide, sans émotion, dont on ne ressent jamais l’intensité voulue pourtant par Nolan ; jamais le danger, jamais la fureur ni même la sensation de peur (il suffit de revoir à peine cinq minutes de Requiem pour un massacre, du Soldat Ryan ou de Tu ne tueras point pour s’en rendre compte). Churchill l’a dit : «Les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations». Certes. Mais parvenir à s’enfuir de la salle où est projeté Dunkerque est déjà une victoire en soi.


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le 28 juil. 2017

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