Tentative de sabotage. Bien essayé.

En guise d'introduction, voici trois éléments qui vous aideront peut-être à comprendre quel était mon état d'esprit quand j'ai décidé de visionner ce film:
- "Dune" était le PREMIER film de David Lynch que je regardais (Oui, je sais. Pardon, fallait que ça sorte. Je vais y remédier, promis.)
- Je n'avais jamais lu les romans de Frank Herbert dont le film est tiré.
- J'avais entendu du très bon sur ce film (notamment de la part du "Fossoyeur de Films" qui le considère comme "culte") et...du très mauvais (ça, c'est mon Papa, fan des bouquins depuis sa jeunesse, traumatisé par ce film qu'il considère comme une bouse sans nom.)


En gros, je savais que ce film faisait polémique. Je ne connaissais rien du matériau d'origine ni du réalisateur. C'est donc avec l'intention d'être surpris, dans un sens ou dans l'autre, que je me suis lancé dans le visionnage.
Et pour être surpris...oui, je l'ai été. Et on va commencer par ce qui a constitué la « mauvaise surprise » (qui l'a emporté sur la bonne, je ne peux le nier).


Première constatation: La politique à l'échelle galactique, c'est compliqué pour les non-initiés. Malgré le monologue halluciné de la princesse qui fait penser à un mauvais trip sous LSD, et les dialogues au but clairement didactique, on est un peu paumés au début.
Mais on se rend vite compte que l'univers imaginé par Herbert est incroyablement riche, ce qui nous fait encore plus regretter le traitement brouillon réservé à la plupart du film (on y reviendra). Entre l'Empire, les grandes familles rivales, la guilde des navigateurs de l'espace, Lynch semble dépassé par le matériau d'origine et prend le parti de balancer toutes les informations au début au lieu de laisser le spectateur comprendre pas à pas la complexité de cette galaxie.
Deuxième constatation : C'est laid. Très laid. Je sais qu'on est en 1984 mais c'est pas une excuse. « Terminator » est sorti la même année, « Retour vers le futur » s'apprête à sortir, et le premier « Star Wars » a déjà sept ans. Alors bien sur, le cinéma de Lynch n'a rien à voir avec ce genre de blockbusters grand public, mais pour transposer à l'écran des personnages, des planètes, des environnements qui ont fait rêver des milliers de gens (dont je ne fais pas partie), un minimum de moyens est quand même de mise. Y a une différence entre ne pas vouloir faire joujou avec la technologie à tout prix et littéralement violer la rétine du spectateur (les visions du héros, les voyages dans l'espace, ces cercles bleus flashys et discontinus immondes...).
Troisième constatation : Les acteurs sont transparents, le héros est fade comme une endive congelée (même pas bio) avec son brushing particulièrement ridicule. Même le charisme bienveillant de Patrick Stewart (apparemment chauve de naissance) et Max Von Sydow (qui existent juste grâce à leur présence unique) ne parvient pas à dynamiser l'ensemble. On passera sur les voix-off sensées retranscrire les pensées des personnages, c'est un choix qui ne me plaît pas vraiment mais à la limite...
Quatrième constatation : ...ce que j'appelle le « sabotage ». Alors certes, y a pas de moyens, on a compris. Mais c'est pas une raison pour faire ressembler les batailles (accompagnées de musiques épiques) à des combats de catch géants. Les méchants ils attrapent les gentils, et il les jettent par terre, alors les gentils ils se relèvent et tapent les méchants, et...c'est ridicule, y a pas d'autre mot. Ca enterre (ensable, aha...) tout le tragique qui devrait se dégager des scènes.
Je ne comprends honnêtement pas. Peut être que Lynch était déjà complètement blasé quand il est arrivé à ces scènes et qu'il a laissé les figurants tourner en roue libre, c'est la meilleure explication qui me vienne à l'esprit.


Mais alors, si c'est moche, si les scènes d'action sont pitoyables, si le scénario est condensé à l'extrême avec des ellipses ahurissantes de grossièreté (la romance qui se conclut en deux secondes...WTF?!), pourquoi quatre sur dix et pas un ?
Tout d'abord, parce que malgré ce « sabotage » en règle, le film ne m'a pas dégoûté de l'univers de « Dune ». Au contraire, il m'a donné envie de lire les livres et d'en savoir plus sur ce système féodal intergalactique, sur ces peuples étranges, ces sectes intrigantes... Car oui, malgré tout, le film intrigue. Peut être que ça vient de cette frustration, de cette sensation de trop peu, mais on est tenu en haleine par un petit je ne sais pas quoi qui nous fait presque fermer les yeux sur les énormités visuelles (j'ai dit « presque », il faudrait être aveugle pour en être capable, et encore) et attendre la scène suivante avec l'espoir de voir apparaître une autre créature improbable, un autre temple mystérieux. Le film ne fait pas taire l'imaginaire malgré sa médiocrité, bien au contraire.
Alors certes, c'est plus à mettre au crédit d'Herbert qu'à celui de Lynch mais c'est aussi la preuve que « Dune » n'est pas un foirage complet.
Pour poursuivre là dessus, certaines scènes détonnent tellement avec la pauvreté de l'ensemble qu'on a presque envie de les revisionner pour regretter ce que le film aurait pu être. A titre d'exemple, l'une des premières scènes, dans laquelle l'Empereur galactique rencontre le « chef » de la guilde des navigateurs, un genre de cerveau flottant dans un aquarium, est une réussite totale. Le décor est bon, on y croit. Les plans sont bien alternés pour qu'on ressente la tension tout en se sentant assez extérieur à la scène pour pouvoir assimiler l'information. C'est esthétique, angoissant, passionnant...et ça dure quelques minutes, seulement.
La scène où les vaisseaux se dirigent pour la première fois vers ce qui semble être une sorte de « porte spatiale » est aussi plutôt belle.
J'ai aussi bien apprécié l'esthétique des boucliers du futur et le concept des pistolets fonctionnant à la voix.
Alors par contre, dans les souvenirs de mon père, les vers des sables étaient bien faits...non. A la limite, les gros plans sur leur bouche nous ferait presque oublier que le Sarlacc de George Lucas est déjà passé par là, mais sinon c'est moche, comme le reste.
Autre chose qui m'a plu : le design de certains personnages. Le baron Harkonnen qui flotte dans les airs, par exemple. Beaucoup de gens le trouvent ridicule, mais il me fait penser à un personnage imaginé par Jodorowsky et Moebius (un peu dans le style des prêtres futuristes de la série « L'incal », pour ceux qui connaissent). Il en va de même pour l'espèce de prêtresse (j'ai oublié son titre...) télépathe que je verrais parfaitement en personnage de BD crayonné.
Tout le monde se fout de la gueule de Sting aussi, n'empêche que les quelques secondes où on le voit dans son slip du futur sont aussi drôles que malsaines, un peu à l'image des méchants du premier « Mad Max » entre esthétique punk ringarde et maladie mentale latente (j'adhère beaucoup, au passage).
Que nous reste-t-il d'autre à repêcher... ? Ah, la BO ! Certes, si certaines parties de guitare et de synthé nous offrent un retour peu réjouissant dans les 1980's, le thème principal est une pure tuerie et on ne peut que pleurer quand on voit le décalage entre la musique de la bataille finale et son rendu visuelle.


On va pas se mentir, le principal atout du film, c'est le scénario d'Herbert. Herbert outragé, Herbert brisé, Herbert martyrisé...mais ses idées sont quand même là, passionnantes, complexes, bien plus que celles de la plupart des blockbusters de science fiction.
« Dune », c'est un potentiel. Les moments de bravoure sont à ramasser à la petite cuillère, mais ils suffisent à doter le film d'un certain charme quand on les couple aux allures de série B de l'ensemble.
En tout cas, cette expérience ne m'a fâché ni avec les bouquins que je projette de lire, ni avec Lynch dont je projette de découvrir la filmographie.
Sans rancune !

Mr_Step

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