La caméra : arme fatale pour un Duel.

    On peut difficilement faire moins accrocheur que ce que propose Spielberg à la sortie de son tout premier film, Duel, en 1971. Un camion, une voiture et des routes californiennes infinies seront les seuls compagnons de notre rétine durant près de 1h30. Oubliez les Cascades à la Fast and Furious, la fameuse Nitroglycérine, les explosions de voiture  plus imposantes qu'une bombe nucléaire, les courses avec des TGV ( oui, oui, merci Taxi !), ici tout est NORMAL, enfin, presque normal. 

C'est du moins le message que veut nous faire passer Spielberg dès le debut du film. A l'aide d'un magnifique plan séquence, il nous présente David Mann (Dennis Weaver) dans sa voiture comme un individu quelconque, quittant la ville et son oppression pour les routes désertiques. Ce plan séquence de près de 5 minutes avec pour seul fond sonore une émission de radio nous installe alors efficacement dans un climat routinier et plutôt familier. Il prend fin lorsque David Mann se retrouve tout à coup derrière un imposant Camion ferraillé qui non seulement l'aveugle de sa fumée épaisse et asphyxiante mais est aussi d'une lenteur à faire bouillir le sang de n'importe quel usager de la route. Le spectateur ne se trompe pas, tout comme la fumée envers David, il étouffe de par la lenteur du rythme imposé par le camionneur mais est aussi aveuglé par l'imposante structure du monstre de fer. Une seule solution s'offre à David, doubler le plus vite possible ce camion pour se débarrasser de cette situation plus qu'inconfortable. Non sans mal, une fois la manœuvre effectuée, David prend le large. L’ambiance retrouve alors peu à peu de sa platitude. A l'image de son conducteur, le spectateur est de nouveau apaisé. Après avoir jeté un ultime coup d’œil dans le rétroviseur il peut profiter à nouveau des magnifiques paysages proposés par Spielberg. C'est alors qu'un bruit fracassant fait sursauter David, ce même camion le dépasse en une fraction de seconde et se repositionne devant lui avant de ralentir à une vitesse une nouvelle fois plus qu'irritante. Rebelote le camionneur lui recrache sa fumée en pleine face. Le Film est lancé, sans le vouloir David vient de s'embarquer dans un Duel à armes inégales, dans un endroit désertique.


C'est donc dans ce cadre que nous nous retrouvons embarqués avec David, dans sa voiture. Sur son siège passager, nous essayons d’échapper à cette machine de destruction, qui utilise tout son poids, toute sa force pour écraser, humilier et faire dérailler ce père de famille qui n'avait pourtant rien demandé. On notera l'habile mise en scène de Spielberg qui fera progressivement passer le Camionneur du statut de « personnage passif » à « emmerdeur » pour enfin finir en « dangereux psychopathe ». Avec ses plans de caméras, il manipule superbement notre regard en nous incitant à regarder constamment la route ou encore les différents rétroviseurs, afin de surveiller une possible attaque surprise. Durant tout le film il joue avec nous en faisant disparaître le Monstre à chaque angle mort, créant ainsi chez le spectateur un état de stress quasi-constant. Mais la véritable force de ce film réside dans sa capacité à nous imposer comme un être a part entière ce camion démoniaque. En effet, le pari gagnant de cacher l'identité du chauffeur durant tout le visionnage contribue grandement à la personnification de ce tas de ferraille. Le bruit tonitruant de son klaxon, sa couleur rouille, son ossature titanesque et les différents plans de caméras qui ne font qu'amplifier son envergure en font un personnage respecté et craint … un peu à la manière du tyrannosaure Rex, du même réalisateur, dans Jurassic Park, 22 ans plus tard.


Plus qu'un Duel, ce film est une véritable chasse humaine, une partie d'échecs impitoyable ou les deux acteurs vont prendre tous deux d'énormes risques, l'un pour tuer, l'autre pour vivre. Loin du grand « show » proposé par les effets spéciaux à outrance, dans la plupart des films de voitures, ce film, considéré comme un exercice de style, est un véritable modèle cinématographique, qui j'en suis sûr en a inspiré plus d'un.


Depardiable.

Depardiable
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le 30 mars 2018

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