On pensait Vinterberg incapable d'égaler son formidable "Festen", et on s'était habitué à le voir sortir, bon an, mal an, des films plus ou moins bons. Et voilà que ce merveilleux "Drunk" nous éblouit, nous bouleverse, et nous... interroge.


Car, en partant sur une drôle de thèse pseudo-scientifique (l'être humain, pour bien fonctionner - et être heureux - aurait besoin de 0,5g d'alcool dans le sang en permanence !) et en construisant un film qui nous inquiète a priori du fait de son potentiel moralisateur (les drogues, dont l'alcool, c'est mal !) ou au contraire bêtement anarcho-beauf (bourrons-nous la gueule entre potes, faisons la fête puisque notre boulot est chiant, nos femmes et nos enfants sont chiants,... le genre...), Vinterberg prend un sacré risque. Qu'il n'évite pas tout-à-fait, d'ailleurs, car "Drunk" emprunte à mi parcours, le temps de quelques scènes convenues (mais justes), le chemin de la peinture d'une déliquescence programmée de nos "héros" devenus alcooliques, avant de, heureusement, retrouver une vraie originalité dans sa dernière partie. Et le film est aussi sans doute trop uniformément et obstinément masculin dans son point de vue, pour son propre bien...


Mais, même si la question de l'utilisation systématique de l'alcool comme désinhibant et comme élément central de toute fête digne de ce nom est pertinente (en particulier dans nombre de pays de l'Europe du Nord), il est assez vite clair que "Drunk" nous parle avant tout du mal d'être, voire même de l'horreur absolue de la vie, qui est de plus en plus impossible à supporter sans les béquilles d'addictions. Et c'est là que l'interprétation, toute en subtilité, et la plupart du temps douloureuse, du grand Mads Mikkelsen est le joker de Vinterberg : sa représentation "physique" - souvent muette - du désarroi existentiel s'avère le vrai moteur de la fiction, et élève plusieurs scènes vers l'excellence cinématographique.


D'un côté, nous avons une sensibilité qui rattache "Drunk" au meilleur cinéma des années 70 (on a cité le "Husbands" de Cassevetes et sa bande de copains en dérive, ou encore "la Grande Bouffe" de Ferreri avec ce vertige du suicide, social ou physique, à coups d'excès, et ce sont des références pertinentes), et de l'autre une contemporanéité totale de cette grisaille d'une vie où l'on ne se parle plus.


Mais, là où la singularité du film s'affirme le plus brillamment, c'est paradoxalement lorsque Vinterberg filme des scènes de liesse, souvent baignées de lumière : ces brefs instants - alcoolisés bien entendu - de pure joie de vivre, en particulier ceux de la magnifique conclusion - nous rappellent combien nous sommes humains, et donc faibles et ridicules, et combien nous pouvons être beaux.


"Drunk" nous laisse avec des larmes plein les yeux, ne sachant pas très bien si nous devons aller boire un verre pour célébrer la vie ou pour l'oublier. Et ça, c'est un sacré triomphe pour Vinterberg !


[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/10/15/drunk-vinterberg-interroge-notre-mal-de-vivre-et-le-soigne-par-livresse/

EricDebarnot
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le 14 oct. 2020

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Eric BBYoda

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