Attention spoilers


La question qui semble fondamentale lorsqu'il s'agit d'aborder une suite n'est pas celle de son utilité, mais bien de sa nécessité. Apporter un nouveau cadre ou des nouveaux enjeux à des personnages déjà connus ne suffit plus, il faut désormais que ces nouveaux éléments s'inscrivent dans une démarche logique suite aux événements du premier volet.


On constatera rapidement au visionnage de Dragons 2 que Dreamworks s'en sort avec brio dans cet exercice. Le premier volet nous laissait avec des personnages en communion parfaite avec leurs ennemis de toujours : les dragons. Cet événement a plusieurs conséquences :
- Ce nouveau moyen de locomotion rend instantanément le monde beaucoup plus vaste.
- Le village développe une confiance importante en sa nouvelle puissance.


Ces conséquences sont visibles très littéralement dans le film, mais également, point important, émotionnellement.
-Harold se retrouve face à un monde plus vaste, et donc plus complexe. On l'avait quitté adolescent cherchant sa place parmi son entourage, on le retrouve jeune adulte cherchant son identité dans un monde toujours plus grand (on retrouve d'ailleurs cette évolution dans le ton des deux films : de buddy movie on passera au film de guerre).
-De ce nouveau monde émergera un mal ultime, celui dont la vision se mettra en directe opposition avec celle de notre héros. Cette nouveauté amènera dissension auprès du village à propos de leur nouvelle puissance de feu. La jeune génération est prête à en découdre, tandis que la plus âgée choisit le pragmatisme de la défense des siens.


C'est l'expérience qui différencie les deux générations. Celle qui amène à accepter les compromis imposés par la complexité du monde, et celle qu'Harold se doit d'acquérir pour répondre de façon approprié à ce monde nouveau. Pourtant, les deux chemins déjà tracés pour lui par son père et sa mère se dirigent vers la même finalité : la passivité de la protection des siens. Pour le spectateur comme pour le héros qui se souviennent du chaos qui régnaient au village avant l'unification, ces méthodes ne peuvent être acceptées. Harold devra donc tracer son propre chemin vers la résolution du conflit, et ainsi découvrir qui il est. Les scénaristes peuvent se féliciter : l'accomplissement de la quête (la fin de la guerre) rentre en parfait synchronisation avec l'obtention de son objet (découverte de soi).


On l'a dit, l'antagoniste Drago est le mal suprême qui émerge de la complexité du monde (ce leader charismatique qui sévit au loin et qui aime à parler de triomphe de la volonté fait d'ailleurs penser à un autre dictateur, souvent perçu comme la quintessence du mal). La souffrance amène au désir de vengence, la vengence amène au désir de pouvoir, le pouvoir amène au désir de domination. Ou comment, par quelques détails, transformer un manichéisme primaire en manichéisme réussi. Harold, face à tant de haine, ne pourra que constater l'échec de sa vision humaniste du monde.


Ce conflit émotionnel l'amènera à pleinement embrasser sa destinée. Il l'obligera à réévaluer ses ambitions d'unificateur universel, pour accepter l'existence du mal, et ainsi supporter le rôle de chef qui porte sur ses épaules le poids de la décision de vaincre. Car le déchirement du héros se situe avant tout ici : abandonner une part d'humanité en tuant pour préserver celle du monde. Malgré le traitement tout public, Harold a tout du héros tragique, celui qui accepte la douleur des décisions qui vont à l'encontre de ses envies. Ou comment devenir adulte par le compromis.


La finalité du film se situerait-elle dans un simple changement de leader ? On ne quitterait donc un dictateur que pour un autre, en priant pour que le prochain soit bienveillant ? Pas vraiment. Car Dragons 2 cherche avant tout à traiter de la domination. Drago possède une domination totale sur ses sujets, empêchant tout libre arbitre. Cette mort du libre arbitre sera constatée de très près par Harold, lorsque Krokmou, son grand ami, tuera Stoïk, père du héros et chef du village. Cela lui permettra cependant de comprendre le genre de chef qu'il veut devenir : plutôt que celui qui impose sa volonté, il sera celui qui rallie malgré lui. Volonté mise en image par le ralliement in extremis de Krokmou à Harold, alors que le dragon semblait avoir perdu tout esprit critique. Rallier par la confiance plutôt que par la peur.


C'est une nouvelle fois, après le premier volet, l'influence de Miyazaki qui se manifeste dans cette idée. Si elle imprègne moins ici le récit en profondeur, elle se voit cependant beaucoup plus dans la forme. On retrouve la figure du méchant qui change de camp en cours de film (la thématique de la domination prend corps dans cet arc narratif), ou cette maturité enfantine lorsqu'il s'agit d'aborder des thèmes difficiles comme la famille ou la mort. L'influence du japonais s'incarne cependant le plus intensément chez la mère d'Harold, en atteste sa première apparition presque mystique. Le personnage peut d'ailleurs facilement s'interpréter comme une relecture de San, la Princesse Mononoke du film du même nom, les années en plus transformant sa haine envers les humains en lassitude. Elle possède également cette même caractéristique d'appartenir entièrement à un monde dans lequel elle n'est pas née : Valka est dragon, et cela se voit par sa maitrise du vol, qui, on le remarquera, se fera sans selle, alors que la selle représente chez les autres le lien qui unit humains et dragons. La connexion avec la Nature chère au japonais ayant été traitée lors du premier volet, Dragons 2 utilisera la nouvelle relation entre Harold et sa mère pour démontrer que cette connexion ne peut être une fin en soi dans un monde trop grand pour simplement ignorer ses problématiques.


Une nouvelle fois, Dean DeBlois suit les traces de Hayao Miyazaki dans son envie de fournir un film grand public, dans le sens noble du terme : un film qui parlera de façon pertinente aux personnes de tous âges. La qualité de l'animation (des paysages à couper le souffle, des décors splendides qui baignent dans une lumière magnifique mettant en valeur les textures à l'illusion parfaite), la mise en scène (très efficace, avec un nombre de plans iconiques impressionnant, sans compter les scènes de vol bluffantes), le sound-design et le character-design (les dragons, évidemment), la musique (magistrale de bout en bout), et le rythme (maîtrisé à la perfection), achèveront de faire de Dragons 2 un des grands divertissements de ce milieu de décennie.


Dragons 1
Dragons 3

Mayeul TheLink

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9

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