Le Voyage du Héros (critique de Dragons 2, de Dean DeBlois)

Véritable joyau de la couronne Dreamworks, la franchise Dragons bénéficie naturellement d’un soin particulier de la part de la firme de Glendale. Pas étonnant alors que cette suite très attendue concentre tout le savoir faire du studio pour livrer au spectateur une aventure épique et euphorisante digne de son prédécesseur. Plus dense, plus sombre et toujours aussi humain, Dragons 2 développe brillamment les thématiques du premier film, étoffe son univers et propose ainsi une histoire où émerveillement et découverte sont maîtres-mots.

Cinq ans après la réconciliation entre Dragons et Vikings, Harold et Krokmou parcourent le monde à la recherche de territoires inconnus. C'est lors d’une de ces expéditions que le duo se retrouve au beau milieu d'une guerre menée par le terrible Drago Bludvist dont les conséquences dramatiques pourraient bien troubler la quiétude des habitants de l'île de Beurk et changer l'avenir de l'humanité toute entière.

Depuis sa création en 1997, la division animation de DreamWorks SKG nous a rarement habitué à des productions originales et ambitieuses. Tout d’abord cantonné au rôle d’outsider jusqu’au début des années 2000, dans l’ombre du géant Pixar en pleine explosion créative, DreamWorks Animation se limite alors à imiter son illustre modèle (Fourmiz, Gang de requins), recycle des formules "dysneyennes" éprouvées (Le Prince d'Égypte, La Route d'Eldorado, Spirit : l'étalon des plaines) ou plus simplement, associe son image à celle de studios respectés comme Aardman Animations (Chicken Run, Wallace et Gromit : Le Mystère du lapin-garou, Souris City).

C’est en 2001 que DreamWorks Animation ouvre enfin une véritable brèche dans le marché de l’animation, avec une production qui s’imposera comme une figure de proue pour le studio et lui permettra de signer un juteux contrat avec la Paramount avant de gagner son indépendance : Shrek. Ce film, réalisé par Andrew Adamson et Vicky Jenson, invente la “formule Dreamworks” principalement basée sur un humour parodique post-moderne très référencé et multipliant les clins d’oeil adressés aux parents. Une recette souvent peu digeste, reléguant clairement la structure narrative au second plan, mais qui fera néanmoins la fortune de la société avec des franchises solides déclinables à volonté comme Madagascar ou plus tard Kung Fu Panda.

Lorsque le Dragons de Dean DeBlois et Chris Sanders sort dans ce contexte en 2010, il fait donc figure d'aberration dans la filmographie Dreamworks. Original, audacieux, d’une maturité étonnante, cette grande aventure de Fantasy prouve que le studio ne compte pas s’embourber dans la déclinaison stérile et se montre même capable de rivaliser avec les cadors de l’industrie dans le domaine de la recherche artistique et de l’épaisseur thématique. Film de la maturité pour la société de production, son succès consolide sa position face à un Pixar à la recherche d’un second souffle et permet surtout la création de nouveaux métrages moins formatés comme Les Cinq Légendes ou Les Croods.

Dragons 2 était donc logiquement attendu au tournant par une cohorte d’amateurs de l’univers scandinavo-fantastique imaginé par Cressida Cowell et brillamment mis en image par la firme du sieur Katzenberg. Avec une publication comptant à ce jour quatorze tomes et un univers foisonnant dont le premier film n’avait offert qu’un aperçu, cette suite pouvait se permettre de voir grand, en explorant les conséquences de la libération des dragons de Beurk à plus grande échelle et ainsi exprimer tout son potentiel. Et c’est exactement ce goût de la découverte et de l’exploration qui propulse cette réalisation signée Dean DeBlois et fait de Dragons 2 un succès éclatant. Bien plus qu’une nouvelle itération sans âme à visée purement commerciale.

Comme L'Empire contre-attaque avant lui - suite exemplaire avec laquelle ce film partage de nombreux point communs -, Dragons 2 cherche avant tout à ouvrir et étoffer son univers tout en lui apportant encore plus de profondeur dramatique en confrontant son héros Harold à des enjeux à la fois intimes et universels. En d’autres termes, ce film semble à la fois élargir son angle de vue tout en se concentrant d’avantage sur les détails, aussi bien du point de vue esthétique que narratif. Tout ici semble plus organique, plus fouillé. Les décors iconiques, magnifiquement éclairés par le grand Roger Deakins, fourmillent de minuscules touches leur donnant vie, écrins parfait pour des personnages aux émotions bien humaines.

Car au-delà d’une maîtrise technique et artistique incontestable, d’une réalisation impeccable éminemment immersive, d’une 3D relief aux petits oignons, les personnages et leurs préoccupations sont toujours au centre du monde de Dragons 2. Difficile d’en dévoiler plus sans gâcher le plaisir de la découverte, mais sous couvert d’aventure fantastique, cette suite n’hésite pas à poser de véritables questions concernant la filiation, la prédestination, l’endoctrinement. Bien plus qu’une excuse servant à vendre du produit dérivé, Dragons 2 touche ainsi le spectateur en injectant de l’humain dans un monde imaginé, en s'intéressant à des joies et des souffrances concrètes, souvent écrasées par le “production value” dans d’autres œuvres.

Traversé par un souffle épique incontestable et une poésie omniprésente, Dragons 2 n’est pas sans rappeler Nausicaä de la vallée du vent d’Hayao Miyazaki avec lequel il partage, au-delà de quelques designs sous influence évidente, une philosophie animiste, une vraie conscience écologique et un goût pour les figures messianiques torturées. Comme le chef-d’oeuvre produit en 1984 par le studio Topcraft, Il fait partie de ces grands films d’aventure ambitieux, utilisant des schémas narratifs éprouvés et accessibles à tous pour brasser des thèmes importants et questionner le spectateur.

La marque d’une oeuvre intelligente, dépassant le cadre du simple divertissement pour offrir plusieurs niveaux de lecture adaptés à différentes types de publics. Dragons 2 construit ainsi sur les bases solides du premier film pour atteindre des sommets grâce à une ambition formelle remarquable, un scénario limpide et un amour indéniable de ses personnages. Un véritable travail d’orfèvre.

Dragons 2, de Dean DeBlois (2014). Sortie en salle le 2 juillet 2014
GillesDaCosta
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le 26 juin 2014

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Gilles Da Costa

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