On date souvent la naissance du Dracula au cinéma par cette version de Browning, qui inaugure pour Universal un précieux creuset du film fantastique dont la descendance sera très riche. C’est oublier un illustre prédécesseur, le Nosferatu de Murnau qui, privé des droits d’adaptation, dut renoncer à l’appellation officielle. Personne ne s’y trompera, et surtout, la force expressive et visuelle de l’expressionniste allemand fait une ombre particulièrement cruelle sur ce début de franchise hollywoodienne.


Comme pour Frankenstein qu’Universal sortira la même année, le film est adapté d’une pièce de théâtre dans laquelle jouait déjà Lugosi, ceci expliquant un grand nombre de ses défauts : son jeu statique, la part trop importante dédiée aux dialogues, et la mise au rencart de tout ce qui pourrait faire la vigueur visuelle du mythe. Alors qu’un prologue transylvanien (justement ajouté à la version théâtrale) se révélait prometteur dans la grandiloquence de décors et le déploiement de tout le folklore inhérent à la légende (toiles d’araignée, bestiaire étrange (un tatou fait même son apparition !), épouses en robe blanche, crypte en clair-obscur…), la suite s’enlise très rapidement.


L’engouement d’Hollywood pour le parlant, arrivé quelques années plus tôt, est ici patent dans la manière dont il paralyse la syntaxe qui donnait toute sa vie à l’expression du muet. On cherchera en vain toute la thématique du désir ou la sensualité, les scènes de morsure étant systématiquement coupées, et l’horreur se résumant à une chauvesouris suspendue par un fil. Van Helsing devise sans fin pour exposer au public la connaissance exhaustive du fonctionnement d’un vampire, la demoiselle se contente de poliment hurler ou la possession par l’hypnose, et le tout est emballé dans l’heure et quart contractuelle qu’Universal alloue à de telles productions. Il en faudra moins pour oublier cette version qui, toute fondatrice qu’elle est, s’éclipsera très rapidement à la faveur du génie de Murnau, ou d’autres versions ultérieures exploitant pleinement le terreau fertile qu’est cette histoire d’amour, de désir, de sexe et de sang, autant de forces vives qui n’ont pas été exploitées ici.

Sergent_Pepper
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de vampires, Les meilleurs films de 1931 et Vu en 2020

Créée

le 26 mars 2021

Critique lue 498 fois

21 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 498 fois

21

D'autres avis sur Dracula

Dracula
Sergent_Pepper
5

We own the bite

On date souvent la naissance du Dracula au cinéma par cette version de Browning, qui inaugure pour Universal un précieux creuset du film fantastique dont la descendance sera très riche. C’est oublier...

le 26 mars 2021

21 j'aime

Dracula
Libellool
7

Une version un peu kitsch et désuète

Disons le tout de suite, cette version de Dracula, la plus connue, est beaucoup moins convaincante que le Nosferatu poétique et baroque du cinéaste allemand Friedrich-Wilhelm Murnau. Bela Lugosi...

le 5 sept. 2014

21 j'aime

13

Dracula
No-Life-Queen
8

L'origine de la cape du vampire

Avant d'être l'apanage du super-héros, la cape, c'était un truc de vampire. Mais encore avant ça, les vampires n'avaient pas de cape ! Alors d'où vient ce curieux accessoire ? Assieds-toi, lecteur...

le 2 mai 2017

17 j'aime

11

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

700 j'aime

50

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53