De l'influence du groupe sur l'individu (et réciproquement)

Grand Prix à la Berlinale 1957, 12 Hommes en colère, au-delà de comporter une mise en scène virtuose et un jeu d'acteurs époustouflant, délivre un message percutant avec grande justesse.
Le film a beau avoir presque 60 ans, il n'a pas pris une ride tant les enjeux décrits sont d'actualité.


Sidney Lumet nous propose ici un formidable plaidoyer en forme de critique constructive et nuancée du système judiciaire américain de l'époque. (demandons-nous franchement si cette critique n'est pas appliquable aussi de nos jours..)
Il est relativement aisé de deviner dès le début du film que les 12 protagonistes finiront par s'entendre quant au sort réservé au "gamin", tout l'enjeu et le sel du film étant de savoir comment ils vont en arriver là.
Et ce qui devait être une simple formalité -le suspect étant à priori coupable au vu des preuves- va s'avérer être un formidable jeu de rôles dans lequel chacun va "tomber le masque" à un moment donné. On commence alors à entrevoir les motivations de chacun pour statuer sur un "coupable" ou un "non-coupable".
Le fait est que chacun étant aveuglé par sa propre expérience, il laisse déteindre toute sa subjectivité sur le jugement qu'il émet.
De plus, on nous dit à un moment que pour désigner le gamin coupable, il faut en être sûr et certain, alors qu'une simple présomption d'innocence suffit à le déclarer non-coupable.
Ceci constitue le point de départ de l'intrigue.


Dans un premier temps, la culpabilité de l'adolescent -votée à la quasi-unanimité- ne fait aucun doute. Les membres de la majorité commencent par s'égosiller pour faire entendre raison au drôle de personnage qui ne pense pas comme tout le monde.
Mais voilà, ces mêmes membres s'appuient sur de prétendus faits et preuves pour avancer leurs arguments, sans jamais réellement chercher à le convaincre, persuadés que la vérité s'impose d'elle-même.
Sauf que parfois, la force de persuasion supplante la force des faits, aussi réels soient-ils.
N'oublions pas que l'Homme est avant tout un être irrationnel.


La culpabilité ou non du fils n'est finalement qu'un enjeu très secondaire de ce film, le réel intérêt résidant dans la manière dont le personnage d'Henry Fonda parvient à convaincre tour à tour l'intégralité des 11 autres jurés.
Un certain nombre de questions sont alors posées : La vérité dépend-elle des faits ou de la manière dont on les expose ? Dans quelle mesure chacun peut-il jouir de son libre-arbitre ? Peut-on avoir droit de vie ou de mort sur quelqu'un ?


En partant de là, on peut extrapoler à l'infini les débouchés de ce chef d'oeuvre du cinéma, qui par son universalité et sa limpidité délivre un message fort, provocateur, presque choquant, et qui nous invite à réfléchir sur notre rapport au réel.
Ce qui m'a empeché d'attribuer la note suprême à ce film est vraisemblablement son absence de twist.
Alors oui, je sais bien qu'un film d'un tel impact se passe de twist et qu'il n'en a pas besoin pour être un grand film.
Mais voilà, certainement influencé par les grands films à twist de ces dernières années (Fight Club, Le Prestige et Usual Suspects pour ne citer qu'eux), j'étais persuadé que celui-ci en comporterait un, et je ne vous cache pas qu'une once de déception m'a parcouru quand je me suis rendu compte que nous avions là une fin "classique".
En revanche, la toute dernière image du film -la table et les chaises vues de haut- m'intrigue quelque peu (une des chaises est vide, celle à côté du doyen de la bande).
Faut-il y voir un pied de nez du réalisateur adressé au spectateur qui pensait avoir tout compris ?
Ou est-ce juste moi qui part trop loin ?
Le débat est lancé...

PierreAigouy
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le 19 oct. 2015

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Workit Pi

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