Vendredi soir, il fait horriblement chaud, je viens de passer une très longue semaine où je me sers de ma petite réflexion huit heures par jour pour découvrir philosophes, réflexions historiques ou encore les structures des espaces sociaux. Et je me dis je vais commencer mon weekend par un bon film culte. Quand je parle à mes amis de Twelve Angry Men, je leur dis que c'est le meilleur film de tous les temps selon SC, et tous me disent qu'ils l'ont vaguement vus, et qu'en effet il est cool. Donc pas de souci, ces petites 1h30 me vont à ravir. Je ne suis pas à convaincre, enfin un peu quand même...
Déjà, on ne perd pas son temps. Ça passe extrêmement vite, et on est accroché à chaque rebondissement. En plus, j'ai toujours aimé entendre des films américains en VO, parce que le dialogue avec cet accent qui fait passer l'anglais de la couronne pour un anglais très hollywoodien me fait plaisir à l'oreille, et j'aimerais bien avoir le même accent...
Mais c'est quand même fou d'arriver à mettre autant de réflexion dans un film. Cinématographiquement parlant, je ne dis pas. C'est un peu comme si on était arrivé à faire LE film achevé. Un film où on dispose tout comme un jeu d'échecs, et où on sait exactement où chaque pièce va aller. Comme un canevas en fait. Tu mets les bouts de ficelle au bon endroit, et à la fin tu te retrouves avec une couture magnifique. Des métaphores visuelles, des gros plans magistraux, des sons à l'exact moment où on pouvait les trouver... Non non vraiment la première place est méritée.
Maintenant, et parce que j'adore réfléchir un peu trop sur les films, j'ai (peut-être voulu) vu tant de portée philosophique dans ce film que je ne peux pas me permettre de ne pas en faire une critique. Celle-ci sera noyée dans le flot des très bonnes critiques, mais peut-être que mon titre racoleur fera un peu de pub. Mais Rashomon et Descartes, c'est exactement ce que j'en ai pensé. Dans le Discours de la Méthode, la principale innovation, c'est le doute méthodique. Et on s'accordera à dire que les mots qui reviennent le plus souvent dans le film sont "reasonable doubt". Le doute méthodique, c'est remettre en question tout ce qu'on a pu avoir cru par le passé, c'est à dire tout ce qui nous a été donné à apprendre, et que l'on n'a pas eu la présence d'esprit de réfuter comme vérité. En somme, on passe au-delà des apparences et des pré-jugés ("prejudice", tout un symbole), et on commence à se servir de son petit cerveau pour comprendre le monde. C'est ce que fait N°8. A quoi sert d'être certain ? Il peut y avoir un doute. On confronte cent fois les faits, et à la fin on arrive à une version totalement différente du départ. Rashomon mon gars. Tout le monde est convaincu la vie est belle.
La République de Platon est une gigantesque parabole des dilemmes de l'esprit humain. C'est une métaphore de ce qui se passe dans ta tête. Et bien ces douze hommes dans une salle close, ce sont les différents jugements que tu peux donner d'une chose. Onze sont gavés de préjugés, et ils voteraient tous coupables sous le seul prétexte (très inconscient) que ce gamin qui n'est pas blanc a forcément tué son père. Et puis ya N°8, qui lui se dit qu'il a sa petite culpabilité de laisser les onze autres gagner, et que se fonder sur des préjugés, ça ne relève pas d'une démarche dialectique et rationnelle. Alors il dit aux autres : je pense que vous avez tort. Tout se chamboule, et tout le monde retourne sa veste, persuadé qu'en se servant de sa raison, on arrive à une plus grande certitude des choses qu'en se basant sur les faits tels qu'on les connaît. Descartes mon pote.
Twelve Angry Men, c'est donc l'apologie du doute méthodique et de la raison dialectique, au détriment des choses immédiatement données, du réel brut obscurci par un mur d'appréhensions et de doutes. C'est le primat de la réflexion objective des choses contre le jugement subjectif et voilé. Je regrette seulement que l'histoire de la femme qui "par coquetterie" ôte ses lunettes soit basée sur un préjugé, et de même que le dernier juré change son avis sur un coup d'émotion. Mais bon, faut bien le vendre ton film, Sidney.
SO LONG !