Je déteste les huis-clos au cinéma. On y perd l'authenticité du théâtre, son ambiance, les risques du "direct". Un film permet justement de réaliser ce qui ne peut être fait sur les planches : comme un train dont la locomotive fonce vers les spectateurs et semble vouloir crever l'écran !
Si vous avez souvent des scènes de ménage avec votre conjoint, ce film est fait pour vous ! Ici, pendant deux heures des mecs qui ne se connaissent pas et qui ignorent tout les uns des autres s’engueulent non-stop pour répondre à une simple question oui ou non ?
Et eux au-moins, ils sont payés (défrayés devrais-je dire) pour ça !
Question simple ? Pas tant que ça… Quant à ses développements…
Saluons donc la performance de Reginald Rose (1920-2002) qui a écrit le bouquin et réalisé le scénario de cette non-aventure, et Sidney Lumet (1924-2011) qui l’a mise en boite et dont c’est le premier film… Est-il venu dans les studios avec pipe, journal et pantoufles ? Déjà qu’il est tombé dans la marmite de potion des frères Lumière tout petit…
Tel ces camelots d’antan attirant les gogos dans les rues, pour leur vendre sournoisement le cocotier du Japon en métal doré avec les fruits du même métal, les deux complices en ont pour leur part attirés 471 269 en salles françaises en 1957…
« Scotchant » même certains sur leurs fauteuils (dont on espère pour eux qu’ils étaient confortables) durant près de deux heures à la seule fin de savoir si douze gugusses allaient envoyer ou non un mec en enfer . Car en 1957, la peine de mort n’était pas encore abolie.
Il faut quand même une intelligence supérieure à la moyenne, pour faire subir à des gens normaux deux heures de bla-bla, changements d’humeurs et d’avis selon le niveau de conviction des baratineurs se succédant.
Ce qui n’a pas empêché les producteurs : United Artist, Henry Fonda, et Réginald Rose, d’encaisser une rentabilité mondiale de 853 %. D’autant que décors, voitures de fonction, hôtels restaurants et logistiques étaient réduits à leur plus simple expression…
Lors de la première vision, j’ai marché…comme mes autres gogos de voisins de salle ! La seconde, j’ai revu tout ça sous un œil un peu plus technique puisque dès qu’on connaît la fin, c’est comme le truc en magie : le charme de la féerie s’envole. Je me demande même si pour vous éviter toute angoisse fastidieuse, je ne vais pas vous la dévoiler d’une manière sadique cette fin !
La seconde fois, j’ai pu savourer le choix admirable du casting qui magnifie le texte, le talent de chaque comédien, sa diversité sociale judicieuse. La troisième a été pour analyser plus finement l’évolution psychologique d’un individu selon la manière dont on réussit à capter son intérêt et le convaincre : ce machiavélisme de la pénétration du mental des individus faisant souvent les choux gras des voyants extra-lucides, gurus de sectes et autres escrocs manipulateurs politiques qui vous font avaler que certaines lessives commencent à nettoyer l’eau elle-même… .
Manipulation du mental qui enfle désormais dans nos média où à des instants donnés, ils attirent votre attention sur tel ou tel évènement ! En 1957, cette usine à gaz que constituait ce qu’on baptise de nos jours la « Communication » n’existait pas mais en 2020, elle est partout présente, aussi intrusive et envahissante que cette damnée publicité.
Même pendant une guerre telle ce crime organisé contre l’Ukraine puisqu’on la voit presque se dérouler sous nos yeux, et que l’information ou la désinformation sont aussi importantes que le nombre de chars ou de missiles en action. C’est ainsi que dans cette lutte entre David et Goliath de 2022 où le second (Poutine) malgré sa puissance de frappe passe pour un ignoble abruti comparativement au plus faible (Zelinski) et où la communication joue en faveur de ce dernier...
En un jour, le dirigeant quasi-inconnu d’un pays a endossé l’uniforme d’un héros en tee-shirt tandis que les militaires adverses arboraient une quincaillerie de médailles en chocolat sur leur uniforme immaculé …
la trois (RTBF) le 09.10.2022-