Douze hommes en colère est l'adaptation d'une pièce de théâtre elle même adaptée d'un téléfilm sorti quelques années avant le film de Sidney Lumet. Ça peut paraître anodin, mais ça signifie pourtant que Douze hommes en colère s'adapte à être une pièce de théâtre : unité de temps, unité de lieu, unité d'action. Aujourd'hui considéré à raison comme l'un des meilleurs films de tous les temps, le premier film de Lumet propose une intrigue aujourd'hui simple mais qui était pourtant, en 1957, une véritable révolution : un huis-clos dans lequel douze jurés d'assise vont délibérer de la vie ou de la mort d'un homme accusé de parricide.
Douze hommes en colère, avec d'autres films sortis à la même époque comme Du silence et des ombres (Robert Mulligan - 1962), Autopsie d'un meurtre (Otto Preminger - 1959), Témoin à charge (Billy Wilder - 1957) ou encore Jugement à Nuremberg (Stanley Kramer - 1961), a créé le genre "procédural", le "film de procès", qui inspirera bien des années plus tard des cinéastes comme Alan J. Pakula (Les Hommes du Président, L'Affaire Pelican) ou David Fincher (Zodiac, The Social Network). On voit ici des hommes, normaux, représentant chacun l'un des archétypes de la société américaine (l'immigré, le pauvre, le coursier, le publicitaire...), débattant de la vie d'un homme, autour d'une table. Le film de Lumet s'affirme rapidement comme un film de scénariste : des dialogues, un développement des personnalités et des idées des personnages, un sens de la réplique, de l'écriture théâtral... mais pas que.


Douze hommes en colère est aussi un film de cinéaste. Malgré le fait que Sidney Lumet était complètement inexpérimenté, qu'il sortait toujours d'une carrière sur les plans et de metteur en scène de théâtre, ce premier film est d'une maîtrise impressionnante : plus que d'une réelle intelligence de réalisation, il transpire du film une réelle nervosité, une sensation d’étouffement, un huis clos prenant au suspense incroyable : Lumet ira jusqu'à augmenter la distance focale de ses objectifs en même temps que le film avance dans l'intrigue - le décor se ressert, les protagonistes se rapprochent, la chaleur est plus forte que jamais. La caméra de Lumet vole dans une pièce pourtant très petite, on suit le mouvement des personnages - tout est fluide, presque planant, qu'on finit par ne plus savoir depuis combien de temps dure le plan que l'on est en train de voir.
La caméra est posée au cœur de l'action, au cœur des cris, des moqueries, des plaidoyers, des pensées, des votes, au cœur de cette fameuse colère mais surtout de cette rage qui ponctue le film. Là où Douze hommes en colère pourrait critiquer la peine de mort d'une façon simple et déjà-vu, Lumet passe outre cette facilité et s'intéresse à autre chose : l'esprit humain.
N'importe qui ayant déjà débattu dans sa vie, en étant qui plus est certain de sa position, sait qu'il est impossible de faire changer quelqu'un d'avis, à moins que cette personne n'en ait pas, ou n'ait pas de quoi la défendre. Douze hommes en colère parle de ça : de l'esprit humain, de la mauvaise foi, du débat, de l'argument, de la persuasion et de la vérité. Peut-on affirmer une chose si il reste des zones d'ombres ayant la possibilité de nous donner tort ? C'est là que le film de Lumet passe d'un simple procédural à une véritable allégorie, un film au final presque irréel dans sa forme, une véritable fresque de seulement une heure trente sur un sujet jamais abordé au cinéma.


Mais Douze hommes en colère parle de plus que ça encore : de racisme, de politique, de préjugés, de vérité, et même de sport. Porté par douze acteurs à l'interprétation générale quasi-parfaite, réalisé par un véritable génie (coup d'essai, coup de maître), d'une écriture intelligente et proposant une réelle réflexion sur ce qu'il dévoile : Douze hommes en colère a t-il un seul défaut ? Ce type de chef d'oeuvre plastique et scénaristique, d'une force universelle, qui, depuis six décennies, n'a pas volé son titre de "l'un des meilleurs films de tous les temps". Un passage obligé dans la vie de n'importe qui, qu'on soit cinéphile ou non, Douze hommes en colère c'est la quintessence du septième art, parmi ce qu'on a pu faire de mieux dans le genre, de plus impressionnant, de plus intelligent. Contrairement à son sujet, on ne débattra pas du film de Lumet pendant des heures, la conclusion est simple : Parfait. Rien d'autre.

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le 28 oct. 2013

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Vivienn

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