Darling est un film d’un féminisme tellement douteux qu’il parvient à ruiner à peu près tout ce qu’il avait mis en place. A ce niveau, ça mériterait presque un prix. La prouesse est d’autant plus navrante que le film est extrêmement riche. Explications.

Bon, alors des histoires de personnages qui vivent leur petite vie pépère jusqu’à ce qu’un petit grain de sable insinue un doute et annonce la révélation d’un terrible secret qui remet tout en cause…on en a déjà vu. Plein. Peu importe, l’important reste le voyage et le style.

De style, la réal n’en manque pas : photo, composition des plans, mise en scène, casting, le film est tout simplement somptueux, inspiré, généreux. Dans sa durée, il connaît même des métamorphoses qui le fait changer de genre en cours de route, dans le désordre, de la sitcom au film fantastique, du mélo tragique à l’horrifique domestique et au thriller psychologique.

En revanche, il a un petit problème de rythme puisqu’il met du temps à démarrer et abuse de mystères pour faire mystérieux pendant plus d’1h30 avant d’expédier ses révélations finales. Le truc, c’est que tous ces mystères se revèlent incohérents à la lumire de l’explication finale. Encore un film qui s’est crû plus malin que ses spectateurs mais qui exposera tous ses défauts lors d’un second visionnage…ce qui ne se produira pas de sitôt.

Allons-y gaiement, divulgâchons sauvagement. Pendant 1h30, le film est

une charge jouissive contre le patriarcat tendance viriliste (iconographie des années 50, ses femmes au foyer, ses hommes obnubilés de promotion sociale par le travail, de concurrence…je ne dresserai pas toute la liste). Il se paye le luxe de démonter les mécanismes et les biais psychologiques qui soudent les membres de la communauté, sur la façon dont « le père » impose sa loi. Dans ce monde-là, les femmes sont soumises à leur mari mais les maris sont soumis au chef, le père de la communauté. Là, on se dit que la réal démasque / déconstruit les effets de manche du pouvoir vertical et hiérarchique, patriarcal dont les hommes et encore plus les femmes sont les victimes.

Mais il fallait une révélation fracassante, alors le film fait volte-face : non, le problème n’est pas le pouvoir du père et de celles et ceux qui croient en lui ou profitent de son pouvoir. Le problème est la toxicité masculine. A ce moment-là, tous les hommes du film deviennent des monstres comme rarement vus au cinéma. A tel point, il n’ont plus aucune excuse, rien qui pourraient expliquer comment ils en sont arrivés là. Ils sont des hommes qui se reconstruisent dans le mensonge, monstres d’égoïsme qui déshumanise les femmes pour en faire un accessoire de fantasme. A ce point-là, je ne me sens même plus concerné par les personnages. On serait resté sur le patriarcat, j’aurais pu m’identifier. Là, on est sur un genre d’incels ou de boulets qui n’ont même pas conscience de l’horreur de ce qu’ils font.

Mais je peux encore m’identifier à l’héroïne. Enfin je voudrais bien. Sauf que la révélation a fait surgir des règles du jeu à la fois commode et sans logique qui bloque l’histoire dans une impasse.

Une fois qu’on a vu ce qu’on a vu et qu’on sait ce qu’on sait, toute la cohérence du film est sévèrement battue en brèche plus ou moins gravement :

- C’était quoi les tremblements de terre ? A part être une fausse piste, y a une justification ?

- Qu’est-ce que l’avion faisait là ? A part être utilise au scénario, y a une justification ?

- Pourquoi le QG n’est pas surveillé / gardé ? Certainement pas pour tester le respect du reglement mais c’est bien pratique pour le scénario.

- Pourquoi les hommes meurent vraiment ? Sont-ils psychologiquement à ce point plus fragiles ?

- A quel moment un homme se dit que le bonheur pour une femme est d’être femme au foyer dans une banlieue des années 50 ? Quel genre de mec surtout ?! Faut être complétement cramé du bulbe, non ? Surtout quand ta femme sauvait des vies.

- Et pourquoi la scène de danse du mari. La première fois, on se dit qu’il est une marionnette du chef. Mais une fois qu’on sait, que reste-il ? Une scène pour venger symboliquement l’effeuilleuse de la scène précédente ?

- C’était quoi les tremblements de terre ? A part être une fausse piste, y a une justification ?

- Le chauffeur du bus vit-il sa meilleur vie ?

- Pourquoi le boss se fait-il poignardé? non pas que ça ne m'ait pas fait plaisir mais c'était un chouillas sorti de nul part, non ?

- Pourquoi ces pudeurs de gazelle sur le thème des enfants? Ah oui, pardon, parce que les femmes, contrairement aux hommes ne sont pas des malades mentaux dénué de tout scupule et sens moral.

- Qu’est-ce que l’avion faisait là ? A part être utilise au scénario, y a une justification ? A part faire de l’enfumage (vu que le gosse de la voisine jouait avec un avion aussi, coïncidence, je ne crois pas. Mais véritable sens ? Ca reste à démontrer. On est loin de Matrix question cohérence.

- A quoi sert tout le dispositif en fait ? Pourquoi les discours sur le potentiel, l’ordre et je ne sais quoi ? Pourquoi 1h30 sur le patriarcat alors qu’il n’est pas du tout le sujet ni l’enjeu du film ? Les hommes du film n’ont pas juste un problème de pouvoir. Ils ont des problèmes mentaux autrement plus sérieux.

Ou alors le film nous dit que la structure du pouvoir et les problèmes mentaux, c’est pareil voire que le patriarcat est un problème mental.

Ai-je besoin d’argumenter sur la bêtise d’une telle considération ?

Bref, de mon point du vue, le film aurait été autrement plus intelligent et constructif s’il n’avait pas forcé sur le retournement de fin. En même temps, ça nous aurait privé des pires vilains du cinéma. Dénonciation du patriarchat et spectaculaire de la toxicité mascu sont 2 sujets très intéressants, mais pas dans un seul et même film.

Dandure
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le 23 sept. 2022

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