Entre le surhomme et le dernier homme, que le miroir soit concave ou convexe, c’est souvent la même disproportion qui structure la projection narcissique de l’Américain se regardant le nombril.


Don’t Look Up affiche sans complexe un nuancier absolument binaire au service de la « critique » de McKay qui construit une abstraction très commode pour attaquer l’opposant politique et ainsi rejeter un débat inconfortable — possiblement devenu chimérique vu la crispation actuelle des étasuniens — sous le boisseau d’une posture moraliste.


Le procédé était déjà le même dans Vice où l’exécutif unitaire était mis en place dans ce que McKay voulait être un crypto-coup d’Etat — quand bien même le débat autour de cette frontière entre le législatif et l’exécutif traverse le pays depuis ses origines et qu’aucun démocrate n’est revenu sur les acquis présidentiels découlant de ce basculement orchestré par Dick Cheney de l’équilibre constitutionnel.


N’en déplaise à McKay et ses représentations partisanes, le goût du pouvoir est quant à lui de toutes les coteries. C'est d'ailleurs Roosevelt qui avait amorcé le travail auquel Cheney apporta la touche finale.


En termes sophistiques, ces santons sur lesquels se défoule McKay, ce sont des hommes de paille ; en l’occurrence, avec Don't Look Up, essentiellement à notre droite une femme de paille campée par une Meryl Streep singeant un Donald Trump dont les supporters sont quant à eux homogènement représentés comme des dégénérés aux tendances mongoloïdes auxquels s’opposent les détenteurs vaticinants d’une vérité parfaitement univoque : à notre gauche c’est Jennifer Lawrence qui prend la posture des électeurs démocrates les plus engagés idéologiquement — les gentils quoi.


Que les coulisses de la politique américaine soient plus noires que noires, noires comme la vipère, noires comme le petit phacochère : on s'en laisse aisément convaincre. Qu’un camp détienne la vérité, c’est moins certain. Et qu’un camp détienne la vérité et se batte de surcroit pour sauver la planète ou en tout cas « essayer » parce qu’au moins, eux, vous comprenez, ils essaient… mais ne peuvent rien faire parce que c'est les autres qui sont trop cons. Franchement.


Il fallait bien dès lors DiCaprio, beau gosse et écolo notoire au grand cœur qui roule en voiture hybride et se paie un voyage dans l’espace sur Virgin Galactic et un joli produit cinématographique bien manufacturé dans une production Netflix à plusieurs millions de dollars pour emballer cette tambouille. Tout ça fleure-ti pas bon la subversivité ?


Au final toute la logorrhée satirique de McKay est arrogante et extrêmement facile : on force le trait avec une grandiloquence burlesque sur le show médiatique, sur le capitalisme de connivence, sur l’inertie politique, sur la sidération des scientifiques qui se heurtent aux décisionnaires… sans jamais apporter la moindre contre-proposition parce que la formulation d’une contre-proposition sera nécessairement en grande partie contraire à l’appétence consumériste du monde américain ; peu importe la couleur politique. Et le tout en s’enferrant dans les paradoxes intrinsèques au modèle de consommation américaine.


On peut noter une analogie entre la communication de McKay et celle d'Obama durant sa campagne contre Bush notamment à l'endroit de l'exécutif unitaire. Pouvoir renforcé avec lequel Barack et sa cool attitude se sont finalement bien amusés. De la même façon : on critique la société du spectacle… par le spectacle.


Le feu par le feu ? plutôt une caresse analgésique dans le sens du poil…


En effet, la métaphore de la comète qui semble tenir pour le dérèglement climatique est au mieux maladroite au pire complaisante.


Maladroite d’une part parce qu’une comète est un objet précisément défini, aisément saisissable par tous et d’autre part parce qu’une Chicxulub puissance 2 serait implacable ; elle nous tuerait tous peu ou prou à l’instant de son impact et finalement, parce que selon le film, elle arrive en 6 mois : une période très brève et aisément rapportée à l’échelle d’une vie humaine.


Le dérèglement climatique quant à lui est premièrement complexe à saisir dans son processus et dans ses implications et ensuite, ses conséquences sont inégalitaires à souhait : il ne nous tuera pas tous, les victimes souffriront pour des motifs très divers et ne seront ni distribuées uniformément sur le globe ni sur l’échelle sociale. On le sait : les contingences ont voulu que ce soient les pays les plus pauvres qui dégustent en premier là où les gros émetteurs de GES semblent avoir un chouia de mou pour déconner encore un peu.


Quant à l’échelle de temps, notre situation nous oblige à compter en décennies, c’est-à-dire, comme l’écrit bien Peter Kalmus : la vitesse de la lumière à l’échelle de la planète mais redoutablement lent à l’échelle des cycles médiatiques.


Cette simplification extrême de la temporalité diminue beaucoup la qualité des hommes de paille de McKay : les décisionnaires sont selon lui des débiles qui n’agissent pas mais, dans Don’t Look Up, tout con qu’il est, le gouvernement de Meryl Trump agit ; et il agit vite et avec des moyens sciences-fictionnels qu’on ne verra jamais déployés dans le monde réel.


Complaisante parce que soyons clairs : si on travestit notre problématique en une telle fatalité, si on va tous crever, il suffit alors de pleurnicher de façon hystérique ; jeter son bonnet par dessus les moulins, pousser quelques gueulantes d’indignation théâtrale pour soulager son écoanxiété — ouvrez la fenêtre et geulez donc « I'm mad as hell and I'm not going to take this anymore ! » — participer civiquement aux marches pour le climat pour ensuite s’offrir une indulgence.
À notre échelle ça donne ça. À l’échelle de DiCaprio, faire un discours à l’ONU, c’est faire sa part, il peut faire un tour en fusée — ce serait vraiment bien d’apprendre dans les semaines qui viennent que le golden boy annule son projet parce qu’il se sera fait suffisamment interpeler. Un peu de congruence serait rafraichissant.


Et c’est là tout l’effet vicieux de Don’t Look Up, c’est là que McKay brosse son public cible dans le sens du poil : vous avez fait votre part. Vous êtes des gens biens. Vous êtes face à un mur d’imbéciles mais vous, vous sachez que c’est le bordel, vous avez posé le constat. Au fond, toute cette démarche constatatoire et stigmatisante est apparemment suffisante selon lui pour rejoindre le camp de Jennifer Lawrence.


Je suppose qu’en tant que spectateur on doit se sentir flatté de faire partie de ces gens que McKay semble juger « conscients » ou « éveillés » pour reprendre la nomenclature d’outre-Atlantique. Une sorte d’auto-validation partisane en ersatz de la concorde qu’il faudrait atteindre au travers d'un débat (devenu impossible) pour véritablement valider une posture commune face aux enjeux actuels. Y a un satisfecit à aller chercher pour les bons élèves.


The cherry on top : les plus mauvais élèves, nommément les Trumpistes selon Don't Look Up, appartiennent en grande partie à l'Amérique rurale… laquelle a un mode de vie allant du redneck-beauf, au plus modeste campagnard, en passant par les agriculteurs, nécessairement plus pauvre et donc moins consumériste et, par conséquent, une empreinte carbone certainement inférieure.


Il faudra bien constater un jour qu'on est tous englués et acteurs de ce système et qu'on y est ensemble. Que ça nous plaise ou non. Et que les crises à venir cette fois-ci demanderont de s'élever collectivement ou de se rétamer collectivement. Mais les stigmatisations à la McKay, c’est vraiment petit slip…


Finalement, on passera outre le côté américano-centré, c’est trivial… Même Armageddon faisait davantage intervenir les autres nations du globe qui sont ici à peine mentionnées à l’angle d’un dialogue expédié. C’est dire…

Satyagraha
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le 30 déc. 2021

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