Le péril atomique tourné en dérision

L'idée de ce film est venue à Kubrick après qu'il ait entendu le président Kennedy dire que la guerre atomique, que l'on déclenche uniquement en pressant sur un bouton, a mille fois plus de chance d'avoir lieu à la suite d'une erreur ou d'un geste de folie, que de se déclarer sur l'ordre effectif d'une autorité politique ou militaire. D'autres films ont montré ce danger, notamment Aux postes de combat, film peu connu de 1965 qui relatait une erreur de ce type, alors qu'on était en pleine guerre froide.
Après des réussites comme les Sentiers de la gloire et Spartacus, c'est le premier film où Kubrick peut véritablement déployer son sens de la provocation ; sur les Sentiers de la gloire, il était encore sous la coupe de Kirk Douglas alors producteur, et se contentait de se plier aux valeurs progressistes de la star, tout comme sur Spartacus encore produit par Douglas, gros péplum au ton hollywoodien où déjà perçait un peu son côté subversif.
Mais avec Docteur Folamour, Kubrick produit le film et se lâche en signant une farce à l'humour noir ravageur et burlesque ; cet humour a pu choquer en son temps car il était aussi marqué par un désespoir et un amour irrationnel de la mort. Le pilote du bombardier joué par Slim Pickens, à cheval sur la bombe, tombe avec elle en agitant son chapeau texan et en hurlant comme à un rodeo, tout en anéantissant ses ennemis, c'est une des scènes les plus célèbres du cinéma, en dépit d'un trucage trop visible.
Ce choix de l'humour pour souligner le péril atomique permet de désamorcer ce danger, et la grande force de ce film est de reposer sur des bases plutôt réalistes, renvoyant au discours de Kennedy. De même que les personnages pittoresques sont un atout supplémentaire pour tourner en dérision le danger nucléaire : le portrait des dirigeants politiques et des militaires sont évidemment très subversifs car ils sont vus comme des irresponsables ne contrôlant plus rien. On peut donc s'étonner du succès du film dans un pays comme les Etats-Unis qui est un des plus patriotes du monde. J'ai parlé de Slim Pickens qui est un de ces personnages, mais la palme revient à Peter Sellers qui interprète avec brio 3 rôles dont celui du docteur Folamour, dont le salut nazi est encore une provocation kubrickienne. La performance de George C. Scott en général belliciste est également savoureuse, de même celle de Sterling Hayden en général anti-rouge du nom de Jack D. Ripper, dont le nom signifie l'éventreur : tout un programme ; comme on le voit, la caricature est poussée à fond. Un film à savourer.

Ugly

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