"T'as du clitoris, j'aime bien !"

La réussite. Dur d'y croire lorsqu'on vient d'une banlieue où le quotidien se résume au trafic, à la violence et à la religion. Pourtant, rien ne peut empêcher les rêves et les ambitions de naître. Dounia est l'une de ces jeunes personnes, téméraire et pleine d'espoir, accompagnée de Maimouna, sa meilleure amie qui la soutient corps et âme. Ensemble, elles entament un constat de leur milieu, et vont explorer les limites de celui-ci.
Ce film signe le premier long métrage de Houda Benyamina, cinéaste engagée qui se définit plus comme étant une "humaniste" qu'une féministe, et qui trouve dans les ghettos un terrain riche d'actions, de vécu, un "vivier pour les artistes". Cette femme a derrière elle une formation solide, tout d'abord comédienne, la voici passée de l'autre côté du miroir, et ce pour notre plus grand plaisir. En profondeur, cela lui a notamment permis de reprendre ses acteurs et de ne jamais rien lâcher avec eux, elle a su les pousser au maximum de leurs capacités sans jamais s'arrêter; et c'est ça aimer son art. Ce fort caractère dont elle est imprégnée et cette ténacité ont fortement fait écho dans son oeuvre.


En effet, pour ceux qui seraient passé à côté des enjeux de ce film, il est essentiellement question de colère. Un cri venant des bas-fonds, qui retentit non pas d'une seule, mais de mille voix différentes. Benyamina y a insuflé une force, comme une rage franche, sans artifices, et qui s'est décomplexée sous les attraits et l'illustration de l'Amitié. Divines reste un film social, engagé, mais qui mêle aussi une véritable poésie dans son message politique. Benyamina dit elle-même que son cinéma est politique, pourtant on arrive parfaitement à prendre le recul nécessaire pour apprécier toute la sensibilité qui constitue le reste de l'oeuvre : les relations entre les humains, l'absence, les tensions, les rires, etc. Il faut aussi aborder ce film en se détachant de La Haine de Mathieu Kassovitz, car les deux projets sont extrêmement différents (bien qu'explorant un territoire similaire).


Divines s'incrit dans la nouvelle vague du cinéma français, sans ton moralisateur, mais plutôt avec constat, comme le souhaitait Benyamina, qui a tout écrit elle-même. Quelle surprise d'ailleurs, alors que mes goûts ne s'orientent pourtant pas en faveur du cinéma français en général ! L'histoire dans sa globalité, faisait presque penser à un scénario d'une classique tragédie grecque, habilement menée sans trop "exagérer" l'ensemble. Le côté documentaire est effectivement vite écarté lorsqu'on se retrouve face à des invraisemblances à la limite de la complaisance facile. L'oeuvre comporte, certes, quelques parasites, tantôt proches de la niaiserie ou de l'hyperbole, mais le tout reste plus que satisfaisant. Ce travail est sans conteste bien écrit, filmé avec beauté et avec une proximité qui crève l'écran.
Au niveau de l'interprétation, nous sommes face à des prestations de haut vol, Dounia, personnage principal, est interprété par la magnifique Oulaya Amamra, qui n'est autre que la sœur de la réalisatrice elle-même. Et alors, quelle intensité de regard, quelle détermination et quels frissons face à une telle maîtrise aussi sincère. Plus d'un an de préparation a été nécessaire aux artistes pour ce glorieux résultat. Oulaya Amamra s'en souviendra sans doute tout particulièrement; elle qui a dû se battre pour décrocher le rôle et s'imposer aux yeux de sa sœur en tant qu'artiste.
Toujours est-il que le jeu se passe de commentaires, car tous semblaient transparents dans leurs performances. Le prix de la Caméra d'Or est amplement mérité.


Houda Benyamina a réussi à dresser un portrait rempli de vie, de colère comme de beauté, emporté par des personnages au charisme tout à fait singulier et par une mise en scène adoubée d'une photographie qui se veut proche de ses acteurs : et donc des spectateurs, soit proche des gens en général. Ce récit d’apprentissage est une belle histoire d’amitié doublée d'un début d’histoire d’amour. La conclusion quant à elle est cinglante, révoltée, désespérée. Pour ne pas mentir... cela faisait DES ANNÉES que je n'avais pas été bouleversé à ce point devant une scène. Cette scène inoubliable et furieuse, m'a immobilisé net sur mon siège. Net je vous dis.
La fin de "Divines" m'a remémoré un rêve qui m'a suivi des années durant, concernant mon propre meilleur ami. Impossible de rester de marbre devant une telle scène tragique.
On se souviendra de cette oeuvre comme d'un film qui a du cran, de l'audace et qui a la sincérité dans l'âme. "Divines" est un cri qui s'élève haut dans les airs, très haut.


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Mil-Feux
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le 2 sept. 2016

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Mil Feux

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