Divines a tout d’un grand film, mais souffre en bout de course des défauts de ses qualités.


Véritables révélations, Déborah Lukumuena (Maimouna) et surtout Oulaya Amamra (Dounia) irradient l’écran et offrent chacune au film une interprétation si solide et marquante qu’on en oublie les autres acteurs. Il faut dire que Kevin Mischel est aussi agréable à regarder danser que rasant à écouter quand il ouvre son bec. Quant à elle, Jisca Kalvanda s’en sort à peu près correctement en terreur des quartiers mais devient parfois ridicule dans l’extrémisme de ses réactions. De manière générale, l’écriture des seconds rôles laisse à désirer. Surtout, tout le casting fait pâle figure à côté des deux héroïnes. D’abord froide et antipathique, véritable garçon manqué en quête de statut hiérarchique, Oulaya Amamra finit par séduire, voire charmer, en laissant progressivement son cœur la guider.


Pour son tout premier long métrage, récompensé à Cannes de la Caméra d’Or, Houda Benyamina démontre une maîtrise remarquable du rythme et des codes visuels. Alternant d’un format à l’autre, selon le prisme sous lequel elle veut nous montrer chaque scène, la jeune réalisatrice embarque totalement le spectateur. Sans crainte ni doute, elle mélange les genres, les registres musicaux et alterne avec brio légèreté et dramaturgie. Fourmillant d’idées, le film se perd parfois en détails inutiles.


Car généreux, Divines l’est assurément, tant par l’ensemble des sujets qu’il traite que par son incapacité à s’arrêter au bon moment. Si un reproche peut être fait au film, c’est bien celui d’avoir voulu trop en faire. Et si le film est un délice à regarder durant sa quasi intégralité, il a le travers de souffrir d’un dernier acte non seulement manqué mais au surplus vérolant.


Ne résistant pas à l’envie de clore son film sur une note dramatique, Houda Benyamina force son final et sombre dans la violence facile, illogique. Cédant au fatalisme sans bornes, elle laisse son héroïne enchaîner les mauvais choix, sans queue ni tête parfois, pousse certains personnages secondaires à réagir de manière tellement idiote que le tout sonne faux. La sonnette d’alarme des fins « volontairement/inutilement/connement sombres » se déclenche et sort le spectateur du film qui perd toute l’empathie envers ces personnages qu’il avait appris à apprécier.


La fin, sombre et glaçante, dénote tellement avec le reste du film qu’on finit par regretter qu’il ne se soit pas arrêté vingt minutes plus tôt. Ces dernières minutes sont un calvaire et on essaie de les mettre de côté, pour ne pas ternir le souvenir de ce qui a précédé, de la même manière que pour le film Victoria de Sebastian Schipper l’année dernière. Cette posture raide et inflexible selon laquelle un(e) jeune originaire d’une cité n’aura ni l’intelligence ni le courage de faire le bon choix fait office de mur contre lequel une partie des spectateurs viendra se fracasser.
Que le film aurait été splendide si, en lieu et place d’une fin fermée qui conjugue l’échec obligatoire avec le retour de bâton inévitable, la réalisatrice avait bouclé son métrage sur l’instant fatidique du choix, à charge pour le spectateur de méditer sur ces deux opportunités qui s’offrent à Dounia. Le final en aurait été infiniment plus fort et subtil. Plus lumineux, aussi.


Lors de sa visite nocturne dans la chambre de Maimouna, celle-ci interroge Dounia sur ce qu’elle a fait le jour-même. Elle lui répond qu’elle n’a rien fait. Le film aurait pu prendre un tout autre sens ainsi qu’une autre ampleur si Maimouna lui avait alors demandé ce qu’elle comptait faire le lendemain et que le film se serait arrêté sur le regard de Dounia, partagée entre l’envie de poursuivre un amour naissant et un attrait artistique ou sa soif de gloire et sa cupidité.


Difficile de partager cette vision inflexible de la réalisatrice qui trouble en prônant l’impossibilité d’une réussite ou d’un bonheur à long terme pour quiconque naît et grandit dans une cité. La lumière et les éloges cannois pour elle et ses deux protégées en sont un remarquable contre-exemple. Et autant dire que ce n’est pas ce message véhiculé par le film qui leur a valu ces honneurs, mais bien leur talent et leurs prestations respectives. Cette remarque pourrait paraître déplacée, ces trois rafraîchissantes artistes n’ayant peut-être pas grandi dans une cité... Mais cette maîtrise des sujets qui semblent leur tenir tant à cœur laisse à penser que c’est bien le cas.


Un film qui fait rire et pleurer, donc. Un premier métrage qui brille et qui ne fuit aucune de ses responsabilités, sauf celle de donner un peu d’espoir. Divines tombe en bout de course dans l’emphase et brise égoïstement l’idée qu’un choix moral et légal puisse s’imposer de lui-même pour tirer vers le haut toute personne. Le déterminisme à travers la raideur du corps et de l’esprit n’est un message ni réaliste ni positif. Dommage pour cette fin gâchée, le reste du métrage était prenant.

Flibustier_Grivois
7

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le 19 sept. 2016

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