Diamond Island est une oeuvre tiraillée. Tiraillée entre une mélancolie lancinante et désespérée face à un monde dont la construction politique, économique mais surtout sociale étourdit ceux qui s'y trouvent et entre l'amour, lui aussi désespéré et urgent pour une jeunesse en pleine construction, dont l'envie de vivre brûle à chaque plan, à chaque regard que Davy Chou porte sur ses acteurs.


C'est l'amour de Chou pour une jeunesse dont il voit la condition brouillée mais pour laquelle il a un espoir fou qui crève l'écran. Sur Diamond Island, une île artificielle au large de Phnom Penh au coeur d'un Cambodge contemporain, là où tout n'est que mirage et constructions utopiques, Chou observe avec pudeur et distance une jeunesse qui se réfugie dans l'amour. L'amour et le désir intense de l'autre.
Et c'est parce que Chou est un cinéaste de la distance sociale entre les corps et les esprits qu'il l'observe avec justesse. Une prise de distance pour mieux observer de larges phénomènes, les remettre en question, scruter leurs perspectives et leurs angles. C'est entre acuité du détail poétique et vision d'ensemble qu'il porte un regard critique en creux sur la construction des identités, grâce à un humour fin et terriblement empathique. Un Cambodge dont Davy Chou est amoureux malgré sa peur pour son avenir. C'est lorsqu'il représente les tentatives de séduction souvent vaines des personnages masculins, lorsqu'il les regarde essayer même s'ils sont maladroits qu'il porte un regard amoureux sur cette jeunesse qu'il jubile à voir oser.


L'oeuvre de Chou n'est pas seulement une perle poétique, elle est terriblement politique. Politique dans son portrait d'une jeunesse qui semble bloquée par les frontières entre lesquelles elle existe. Economiques mais surtout géographiques, le pont qui relie l'île à la capitale fait par exemple office de barrière sociale psychologiquement infranchissable pour les jeunes vivants sur Diamond Island.
Il y a quelque chose du cinéma de Jia Zhangke chez Chou, dans le portrait d’une Asie où la différence entre les classes sociales est criante, hurlante, où il faut se faufiler au coeur de grands systèmes écrasants pour faire mentir le déterminisme social. Quelque chose de Zhangke dans le portrait de l’individualisme nécessaire pour survivre sous le poids d'une société où le conformisme est roi et duquel se détacher est risqué.
L'amour de l'autre se construit sur les bases friables d'une société fragile, insolente, peu prudente dans son consumérisme. Une société insolente et fière qui veut grandir, se développer, écraser les autres pour se faire voir.


C'est finalement un objet ultra-contemporain au message subtil que livre Chou, naviguant entre les écrans, les spots publicitaires et les codes de la jeunesse mondialisée. Un bijou porté par un flot mystique qui nous plonge dans un état proche du sommeil, de la somnolence dans un rythme lent et flottant. Un rythme capable d'attirer notre attention sur des détails que l'on ne verrait pas hors de ce flot et qui rappellent le cinéma hypnotique du thaïlandais Weerasethakul.

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le 3 janv. 2017

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