Jacques Audiard est l'un des rares réalisateurs français contemporain que je regarde sans a priori, avec une attente certaine, en étant à peu près sûre de ne pas me faire avoir après avoir payé ma place de cinéma. En dehors de l'effet "Palme d'Or", l'affiche m'a attiré grâce à sa profusion de drapés, et son absence de visage. Les yeux neufs, sans avoir vu de bande-annonce ni lu d'article au préalable j'ai vu Dheepan.


Dheepan est d'abord le nom d'un ancien "Tigre" tamoul, fuyant le Sri Lanka avec une femme et une petite fille de 9 ans. Une, et une, sans lien de famille aucun, excepté dans l'apparence pour pouvoir prendre le bateau et fuir le Sri Lanka vers un autre pays, la France, contrairement à ce qu'aurait souhaité Yalini qui pensait partir vers l'Angleterre rejoindre sa cousine, et se retrouve finalement avec un enfant qui n'est pas le sien sur les bras. Après ce que l'on suppose être un centre d'accueil version hôtel peu recommandable, notre semblant de famille atterrit dans une banlieue bien de chez nous, le Pré. Là commence le choc des cultures.


Dheepan est avant tout un très beau projet. Filmé avec des acteurs totalement amateurs et dans une partie majeure en langue tamoul (le protagoniste principal est interprété par un homme ayant été un enfant soldat dans sa jeunesse), il permet de mettre l'accent sans en faire le sujet dominant sur les migrations post-conflits, notamment sur celui du Sri Lanka dont le contexte est très peu connu ici en Occident. L'histoire met en scène les tentatives d'intégration de personnes dans un lieu froid, désolé et jurant par contraste avec les tissus hindous chatoyants portés lors des cérémonies religieuses, que l'on voit avec enthousiasme dans le film. Beaucoup de plans sont superbes, jusqu'à coller sur la rétine encore des heures après. Audiard sait segmenter son décor de façon pertinente, montrer des corps à demi-nu en les sublimant dans ce qu'ils ont de plus vif aux yeux du spectateur, telle la virilité de Dheepan, ou la féminité de Yalini, dont l'image qui se fond dans le noir est vraisemblablement l'une des plus belles du film.


Malheureusement, les vingt dernières minutes cèdent le pas sur une violence physique aussi exacerbée qu'inappropriée, telle un éléphant dans un magasin de porcelaine. La violence en soi n'est pas un problème, mais sa légitimité dans un film dont ce n'est pas le sujet pose des questions. A la manière du Prophète, Audiard nous refait le coup du gentil pris dans le pétrin face aux très méchants, dans une séquence dont la longueur est telle qu'elle ne choque pas, ni n'émeut : on en revient à une idée de cinéma spectacle, et non réaliste, dans un manque d'originalité combiné à une absence de nouveauté dans le traitement du film. Irréaliste, c'est avéré. Audiard et son équipe ne se sont pas spécialement rendus dans les banlieues pour ensuite en parler, préférant se baser sur des faits divers entendus il y a quelques années pour dérouler le fil de Dheepan. Ainsi, les banlieues françaises sont le lieu de règlements de compte dignes des cartels mexicains : ça canarde dans tous les coins, avec une, deux, dix personnes mortes à coup de revolvers et de machette. L'intention clairement affichée vise à insister sur le fait que chacun est un jour rattrapé par son passé, surtout si celui-ci dégorge de violence. L'effet aurait pu, et du être plus subtil qu'il ne l'a été. Les toutes dernières images ne font pas mieux, en s'ouvrant sur des cerisiers en fleur, métaphore grossière du Printemps dans une Angleterre bucolique, où la réunion de tous les protagonistes en une véritable famille cette fois-ci laisse interpréter une fin heureuse, loin de tous les tracas du "Pré" dégueulasse, plateforme tournante de la drogue.


Sans être décevant, tant sa beauté et les émotions qu'il dégage sont fortes, Dheepan semble cependant avoir été un peu bâclé sur le fond, au détriment d'une cohérence dans le propos. Il n'empêche que ce film reste une belle expérience, tour à tour sensible, visuelle et instructive.


(critique écrite rapidement, il se peut que j'ai fait beaucoup de fautes ou de répétitions !)

-Ether
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le 27 août 2015

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-Ether

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