Le temps de vivre et le temps de réfléchir.

Il y a deux ans, je découvrais avec fracas un film qui s'incrusta en moi, qui grandit et me donna un sentiment de révolte accompagné d'une pointe de scepticisme quant à la probabilité que les sévices infligés à cette pauvre Lucia ne soient pas repérés d'une manière ou d'une autre. Je considérais alors ce film comme un plaidoyer un peu maladroit contre le harcèlement, mais qui restait quand même très intéressant à regarder, notamment grâce à la brillante interprétation de la jeune Tessa Ia, alors âgée de 17 ans.


Mubi, qui le diffuse encore pour quelques jours, me donna envie de redécouvrir ce film. Seulement voilà, au premier visionnage, un détail des plus importants m'avait échappé. Détail qui change plus que modérément la vision que j'avais auparavant.

Je vais tenter d'expliquer comment m'apparaît cette œuvre qui s'avère bien plus ambigüe. Si vous n'avez pas vu le film (ce qui est assez peu probable, mais probable tout de même), je vous conseille de ne pas lire la suite, de vous faire votre avis et de revenir lire le reste ensuite!


Tout d'abord, Michel Franco, le réalisateur, a choisi de poser sa caméra tout au long du film, qui n'est composé que de plans fixes, même dans les véhicules, elle ne bouge pas... excepté à un unique moment, pratiquement à une heure de film. Alors que Lucia vient d'apporter à son petit camarade de classe le téléphone portable qui remplacera celui qu'elle lui a cassé auparavant, nous nous retrouvons à suivre Lucia entrain de nager à la piscine. Ce sera la seule fois pendant le film qu'il y aura:
mouvement de la caméra de façon "active", contrairement aux plans fixes dans les véhicules où la caméra est "passive" (j'utilise ces deux termes parce que je me comprends mieux comme ça!).


Lucia qui quittera le cadre sans y entrer à nouveau.


Ces quelques instants, pour moi, coupent le film en deux parties bien distinctes. La première, qui dure les 57 premières minutes, dans laquelle nous sommes dans la réalité. Les plans sont assez larges, Lucia est expressive, naturelle, elle se déplace dans l'espace qui nous est montré et en sort quelques fois. Elle nage dans la piscine une première fois, entre deux scènes, mais la caméra englobe toute la longueur, elle ne peut pas sortir de ce cadre. Mais la seconde fois qu'elle nage, la caméra la suit, elle essaye de sortir du cadre comme si elle tentait de fuir sa réalité, ce qui lui arrive.


Elle parvient à le faire et ainsi commence la seconde partie du film. Les plans sont moins larges lorsque Lucia apparait, elle est complètement fermée et ne regarde plus aucun personnage dans les yeux (à part son père). Le seul plan plus large est celui où Lucia va quitter le cadre sur "ordre" d'une élève, pour être faite prisonnière dans la salle de bain. C'est dans cette partie où les évènements qui arrivent à Lucia sont un peu trop gros pour que ce soit totalement crédible. A chaque fois qu'elle va subir quelque chose, elle sera soit assise, soit couchée, elle sera énormément couchée dans ces 30 dernières minutes. Pour moi, cette partie n'a pas réellement lieu. Nous entrons dans la tête de Lucia et voyons ce qu'elle redoute, ce qu'elle pense qu'il peut arriver. C'est pour ça que certains évènements peuvent sembler incohérents, elle ne pense qu'à éviter que son père n'apprenne la vérité et surtout visionne la vidéo, ainsi qu'aux élèves qui la persécutent. Dans cette partie, à aucun moment on ne voit les professeurs jusqu'à ce qu'elle se jette à la mer et ne meurt. Elle retournera dans le cadre qu'elle a quittée, comme un fantôme, pour voir le dénouement depuis sa maison d'enfance. Tout simplement parce qu'elle n'a plus conscience que ses professeurs peuvent la "sauver". Lorsqu'on se pense pris au piège, qu'on pense que tout est perdu, on ne voit pas les solutions qui s'offrent à nous pour s'en sortir. C'est-ce qui est évoqué ici. Par contre, lorsqu'elle disparaît en mer, les professeurs réapparaissent. C'est uniquement après sa disparition que les adultes retrouvent leur rôle, celui de punir ceux qui lui ont fait du mal.


"Despues de Lucia" est donc devenu, en l'espace d'un crawl dans la piscine, un film très puissant en deux parties. Une réalité dont Lucia devient petit à petit prisonnière, qui va nous prendre aux tripes, on s'identifie bien à elle pour au final se retrouver dans ses peurs et, peut être, l'une des fins potentielles à laquelle elle songe, entre plusieurs longueurs.

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le 24 août 2016

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RoroRoro

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