Deep End est un film qui a abandonné la structure du langage : Skolimowski arrive au Royaume-Uni sans parler un mot d’anglais, il bricolera ce premier long-métrage britannique avec un budget anémique et des acteurs presque amateurs, dans le décor lugubre et hypnotique d’une piscine allemande. Des contraintes, de communication et de moyens, qui l’obligeront à imaginer un autre cinéma, libéré, autonome, sans discipline et sans carcan. Impossible de ne pas y voir, en 1971 et à Londres, un discours involontaire (alors qu’il est pourtant parfaitement conscient et contrôlé) sur la libération morale et sexuelle. En tête d’affiche d’ailleurs, Jane Asher, symbole d’une décennie d’illusions, compagne puis muse de Paul McCartney au début de l’ère Beatles, femme fatale façon 60s devenue chez Skolimowski le rêve érotique d’un jeune ado en rut.


Deep End est pourtant paradoxalement le récit de la fin d’un rêve, de la fin d’un idéal. La simple perte d’un bijou donne aux agitations fiévreuses un ancrage éruptif dans le réel : c’est la fin des regards, le début des paroles. Comme pour sonner le glas de la liberté, ses conséquences aléatoires, destructrices, viennent dévorer les utopies : ne reste que la possibilité de les assumer, ou alors de les abandonner. De ce chaos, on remarque alors les aspérités ; les masques idéologiques camouflent à peine la réalité des actes. On vient nous prodiguer la révolution sexuelle pour aller, en catimini, vendre son propre corps au plus offrant : celui-ci devient une valeur marchande ; il prend nature matérielle, c’est-à-dire le seul véritable fantasme du capital. Capital que l’on tentait de fuir. Contre un diamant, tout est possible.
Deep End n’est pas tout à fait un huis-clos, mais son décor pivot y est transcendantal : c’est lui dicte le ton du film de Skolimowski, c’est lui qui lui donne sa couleur, qui rythme ses déplacements. Film improvisé implique forcément un assujettissement à l’espace, et il n’est donc pas surprenant que Deep End (jusqu’à son titre), soit né d’une volonté d’occuper avec précision ses possibilités de mouvement – pour suivre, fuir, observer, échanger. Cette piscine, objet colorimétrique évident (vert décrépi, rouge nouveau, jaune baveux, bleu profond) devient également une projection : celle d’une relation, cette drague tendant vers une sorte d’harcèlement ni consenti ni rejeté, dont l’ambiguïté trouve solution dans cette impressionnante séquence finale, comme un ultime revirement animal de cette inversion des rôles que Skolimowski tendait à explorer pendant toute la durée de son film (puceau effarouché face à la belle inaccessible).


La muse se mue en sirène, les bains en monde parallèle. Deep End se rythme en effusions fantastiques, faite d’êtres quasi-mythologiques, évoquant l’univers du conte (ce professeur semblable à un ogre, cette femme obèse qui rappelle Lamia). Le récit initiatique prend alors des airs d’Odyssée acidulée, transposant les récits homériques dans des bains anglais croupissant. Il ne faut pourtant surtout pas mettre de côté sa générosité adolescente ; car Deep End, derrière son désenchantement mortifère, c’est aussi l’un des plus grands teen movie, un American Pie dégénéré où l’acte sexuel n’est pas la libération escompté, mais un ultime saut dans la violence du monde des adultes. Un saut soudain, attendu et inattendu, glaçant et sublime.

Vivienn
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le 19 juil. 2020

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