Un flic métrosexuel sud-coréen collectionnant les photographies d'affaires non élucidées ; une jeune femme d'origine chinoise au coréen trop éloquent pour être honnête ; un crime maquillé - ou pas - en suicide et/ou en accident mortel tenant lieu dans les montagnes périphériques de Busan ; et une histoire d'amour unique, singulière et déchirante, l'une des plus belles et des plus bouleversantes de ces dix dernières années : voilà ce que nous propose le magnifique Decision to Leave, dernier film en date du désormais légendaire Park Chan-Wook, nouvel écrin cinématographique disponible en Blu-Ray et DVD depuis le 16 novembre aux éditions M6 Video et véritable grand gagnant du 75ème Festival de Cannes, à notre humble sens critique du moins... Car si la Palme d'Or fut généreusement attribuée au gros morceau de cinéma malade et excessif représenté par le Sans Filtre de Ruben Östlund Decision to Leave remporta quant à lui un Prix de la Mise en Scène largement mérité, nous faisant presque regretter l'absence de récompense suprême à son égard. Retour sur un film qui a littéralement retourné notre coeur de rédacteur, polar brillant doublé d'un film noir entièrement désarmant, mélodrame et authentique film de genre dépassant le genre à des fins sidérantes et rémanentes...


On savait Park Chan-Wook capable de nous épater sur toute la ligne d'un scénario retors aux allures de cauchemar incestueux avec le tour de force constitué par l'incontournable Old Boy (déjà vanté et salué par le Grand Prix du jury présidé par Quentin Tarantino lors du Festival de Cannes 2004, ndlr) ; on le savait digne des délires kitano-esques tout droits hérités du petit écran avec le farfelu et très réussi Je suis un Cyborg tourné en 2006 de la même façon que nous avions pu constater son saisissant passage à l'international avec l'excellent et redoutablement efficace Stoker il y a près de dix ans... Et pourtant jamais, au grand jamais nous n'aurions imaginé qu'un long métrage produit et réalisé par ses soins serait susceptible de nous mettre à ce point le coeur en miettes ; et si certains cinéphiles ont auparavant émis certaines réserves sur la lisibilité de l'objet dont il est ici question ainsi que sur un registre jugé davantage grotesque que réellement émouvant il y va de notre âme de midinette en ces quelques lignes d'éloge embuées de larmes, préférant voir en la forme parfois outrancière de ce Decision to Leave un authentique premier degré plutôt qu'un enchaînement de sarcasmes proprement agaçants sur la longueur.


Ce n'est - de fait - plus un secret depuis un bout de temps : Park Chan-Wook, à l'instar de Na Hong-Jin et de Bong Joon-Ho, est l'un des grands maîtres du polar "à la coréenne", avec tout ce que cela implique en matière de violence et d'investigations tortueuses à n'en plus finir. Son sens de la démonstration scénaristique, du découpage ultra-cuté et des visions hallucinatoires tombant tel un cheveu sur la soupe sous-tend intégralement sa marque de fabrique d'un métrage au suivant. Clairement divisé, séparé, divorcé en deux parties d'égale durée le récit de Decision to Leave prétexte les gimmicks des précédents films de son auteur (affaire criminelle, horreur graphique, jeu outré des comédiens... tout ce qui faisait le sel de sa fameuse trilogie de la vengeance, en quelque sorte...) pour mieux dévier vers un Eros et Thanatos d'une beauté foncièrement désespérante. Entre un flic apprêté et insomniaque, authentiquement coupable de romance à l'encontre de sa principale suspecte et cette dernière tombant amoureuse dès lors que son enquêteur abandonne sa trace le double-chemin que représente le scénario de Decision to Leave est celui d'une déchirure, aussi grande qu'une montagne et aussi profonde que l'océan. En résulte un grand film sentimental et à plus forte raison mélancolique et douloureux, montrant qu'un rocher et une vague - bien que diamétralement opposés dans leurs propriétés élémentaires - peuvent se briser comme tout un chacun. Fatalement.

stebbins
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le 26 déc. 2022

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