Le scénario construit autour d'un policier hanté par son enquête semble au premier abord classique. Le film va toutefois construire son identité autour de sa mise en scène et d'une subtitilité scénaristique : ce n'est pas l'enquête qui devient l'objet du fantasme de Hae-jun, l'officier inflexible, mais la suspecte.

La mise en scène frappe par son dynamisme et se définit par une recherche constante de nouveaux points de vue. Caméra de surveillance, enregistrement d'interrogatoire, flashback, vue subjective, oeil d'un poisson... Les transitions se font de manière extrêmement fluide, rendent le visionnage du film ludique et permettent de renouveler le genre qui pouvait sembler poussiéreux. L'image, que ce soit par la caméra ou le plan proposé, est sans cesse en mouvement. Ce sont surtout les transpositions des personnages au milieu de flahsbacks ou des lieux observés à l'aide de jumelles qui frappent et aident à recouvrir les premières minutes de l'enquête d'un voile mystérieux.

Ce voile finit par se dissiper puisque l'affaire rapidement résolue laisse place à la naissance d'une relation entre la suspecte initiale, l'épouse du défunt, et l'enquêteur. Cette relation anime le film. Née dans la méfiance et le mystère, la relation s'éclaircit au fur et à mesure du film. A l'instar de la mise en scène, ces personnages d'abord opposés autant culturellement que dans leur rapport de force convergent l'un vers l'autre. Lui est coréen et enquêteur rigoureux, intègre, elle est chinoise et suspecte mystérieuse, vicieuse. Les repas jouent un rôle prépondérant dans le film. Le premier qu'ils partageront est un plateau de sushis haut de gamme commandé par l'enquêteur lors d'un interrogatoire. Le dernier qu'on les voit partager dans le premier volet du film est un plat chinois cuisiné par Hae-Jun.

Le deuxième volet s'ouvre 13 mois après les évènements du premier. Trahi dans intégrité par des révélations de la femme rencontrée, Hae-Jun a subi une forte dépression dont il n'est pas encore remis, aidée toutefois par sa femme. Il retrouve par hasard la même femme sur le marché de sa nouvelle ville, et très vite une nouvelle enquête s'ouvre. Ce deuxième volet est légèrement plus poussif que le premier dans son démarrage. Les mêmes mécanismes font en effet leur retour mais n'ont plus la même force qu'au début du film.

Heureusement, le récit se dévoile cette fois plus rapidement notamment grâce à une utilisation de la technologie judicieuse. La smartwatch en est l'exemple parfait. Elle fait office d'ouverture vers l'intime pour l'un et l'autre des personnages. Les enregistrements vocaux du smartphone également. Eloignée de Hae-Jun, la femme utilisera l'enregistrement volé pour entretenir son amour et sa smartwatch pour confier ses sentiments lors des retrouvailles qui seront écoutés par Hae-Jun dans le cadre de la 2ème enquête. C'est en cela que l'utilisation de la technologie est d'une grande douceur, elle donne ici accès à chacun des deux personnages aux pensées de l'autre. Utilisée dans le premier acte comme un outil d'enquête et de méfiance, allant même jusqu'à rompre la relation des deux protagonistes, la technologie devient cette fois un outil de transmission.

La conclusion du récit est également réussie, comme une nécessité devant l'impossibilité de se retrouver, et laisse une sensation très douce-amère qui me rappelle, dans une moindre mesure toutefois, celle qui parcourait le spectateur à la fin de Compartiment n°6, cette sensation des amours impossibles qui nous glissent entre les doigts.



Alsh74
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top Films 2022

Créée

le 12 juil. 2022

Critique lue 26 fois

1 j'aime

Alsh74

Écrit par

Critique lue 26 fois

1

D'autres avis sur Decision to Leave

Decision to Leave
lhomme-grenouille
4

Factice Instinct

Jamais. Non, jamais je ne suis parvenu à rentrer dedans. On aura beau mobiliser tous les arguments formalistes qui soient – arguments que ce Decision to Leave peut fournir à foison et ça je l’entends...

le 3 juil. 2022

107 j'aime

16

Decision to Leave
Plume231
8

Dans la brume !

Park Chan-wook est un cinéaste dont j'avais tendance à me méfier. J'avoue qu'Old Boy (sans le détester parce qu'il est malgré tout un thriller aussi captivant que cruel avec des moments qui déchirent...

le 30 juin 2022

67 j'aime

19

Decision to Leave
Procol-Harum
7

Vertigo in love

Après une brève incursion télévisuelle, avec la série britannique The Little Drummer Girl, Park Chan-Wook fait son retour sur grand écran et confirme le virage artistique entrepris avec Mademoiselle...

le 3 juil. 2022

39 j'aime

9

Du même critique

Les Amandiers
Alsh74
3

Les Amandiers

Le film retranscrit avec peu de subtilité l'adolescence de Valeria Bruni Tedeschi et suit une promotion de l'école de théâtre des Amandiers.Les premières séquences du film montrent différents...

le 14 juin 2022

20 j'aime

1

Sans filtre
Alsh74
9

Triangle of Sadness

Le film se divise en trois parties. La première se concentre sur Carl et Aya et nous fait découvrir leur relation autour d'un problème digne d'un épisode de Curb your enthusiasm : qui doit payer...

le 30 mai 2022

11 j'aime

I Comete
Alsh74
8

I Comete

Un premier film radical, dense et ambitieux au point de s'étonner qu'il s'agit bien d'un premier film. Il faut néanmoins s'armer de patience. Le rythme est lent et le film n'est fait que de plans...

le 26 avr. 2022

7 j'aime

4