La mise en scène audacieuse et impeccable est le personnage principal de ce film d’amour bancal. La réalisation nous balade, nous emmène (souvent), nous perd et nous retrouve, au service d’un film qui mélange joyeusement les genres. Park chan-wook nous invite à lâcher prise, à nous perdre dans l’espace et le temps, pour cerner la complexité croisée d’une enquête policière et d’une histoire passionnelle, sur fond de montagnes et de plages coréennes. Seul problème : l’histoire d’amour ne prend pas. Elle laisse dubitatif, parfois indifférent, et frôle le risible par moment.

La première partie du film tourne autour de l’obsession morbide de l’enquêteur et de l’ambiguïté empoisonneuse de la suspecte, ça fonctionne bien, la trame se construit lentement, les personnages se dessinent, pendant que l’enquête suit son propre rythme en fond. On ne cerne pas bien les sentiments pudiques et retenus, et tant mieux. L’ambiguïté est d’autant plus forte et malsaine qu’elle se déploie dans un environnement glacial, rationnel et rigide, duquel surgit une violence explosive et nécessaire. (Typique des thèmes aimés par le réalisateur).

Mais tout à coup, Paf (allez voir le film pour comprendre le jeu de mot) ! On parle d’amour et de sentiments (ah oui ? Quand, comment ?), les personnages prennent des décisions incompréhensibles (le revirement de Sore surtout) et ils n’apparaissent plus que comme les pantins d’une trame forcée. Les héros continuent à jouer à fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis, alors que tout éclate autour d’eux de manière absurde : les enquêtes qui se superposent, les personnages secondaires qui apparaissent et disparaissent au gré d’on ne sait quelle volonté. Rien ne semble perturber les héros passifs qui se laissent faire par un maître du jeu trop présent, qui oublie de laisser de l’espace aux personnages pour se déployer eux-mêmes.

Par manque d’espace, ça manque d’émotion, de suspension, de profondeur. Si bien qu’à la fin j’avais juste envie que tout le monde meure pour que ça s’arrête. C’est comme regarder un gosse torturer une sauterelle à qui il a déjà arraché les pattes. Si les protagonistes continuent à se complaire dans une passion dont on ne comprend pas la force, le reste des personnages s’en lassent, tout comme le spectateur.

Heureusement que la mise en scène est là, c’est elle qu’on regarde avec émerveillement, articulée autour d’une photographie très réussie. Finalement, la seule complexité que Park Chan Wool parvient à saisir est celle de la fragmentation : le héros compartimente sa vie entre le flic violent, le mari cuisinier, l’enquêteur obsessionnel et talentueux, et aucune émotion ne lie ces parties de lui entre elles. Idem pour l’héroïne, morcelée entre le chinoise infirmière, l’immigrée à la recherche d’un homme pour subvenir à ses besoins, la femme amoureuse en souffrance, la meurtrière méticuleuse et froide. Ce qui rend possible ce scénario alambiqué est la fragmentation terrible de ces deux personnages, coupés de leurs émotions et sans volonté. Ils trouvent l’un dans l’autre un miroir, et une raison de vivre, ou plutôt de mourir. Tout le reste, l’amour et la passion, les enquêtes, c’est du blabla au service de la mise en scène. Dommage, le propos aurait mérité d’être mieux ciblé, plus travaillé.

Fatmonsieur
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le 5 juil. 2022

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