Il est des films que l’on a envie d’aimer sans y parvenir. Alors on cherche ce qui a bien pu pécher au-delà de la mise en scène millimétrée, du jeu d’acteurs sans fausse note et des prises de vue aussi belles que des cartes postales haut de gamme (non pas celles des années 90 avec cinq filles en string nous envoyant leurs bons baisers de Palavas-les-Flots mais plutôt celles d’un phare en proie à la violence de vagues déchainées aux confins du Finistère, dont l’écume viendrait mourir au pied d’une plage sauvage et inexplorée).

En dépit d’une filmographie éblouissante ne pouvant laisser son public indifférent, Park Chan Wook ne parvint pas, avec Decision to Leave, à marquer au fer rouge le spectateur candide venu dans l’espoir de ressortir chancelant, se tenant bon an mal an à la rampe pour réussir à gravir les quelques marches séparant la salle obscure de la lueur du jour après un choc cinématographique aussi réjouissant que bouleversant.

La réponse se trouve peut-être dans le traitement qu’il inflige aux personnages. Dans Old Boy ou Lady Vengeance, il s’amuse à les déshumaniser au possible mais pas totalement, leur faisant subir moults turpitudes et rudoyant leur moralité à chaque instant ; interrogeant du même coup, par ricochets savamment orchestrés, la morale du spectateur et en finalité la notion même de moralité. Et c’est bien là le génie de ce réalisateur hors normes.

Or, dans Decision to Leave il donne l’impression d’opérer le processus inverse. Il tente d’humaniser des personnages déconnectés de leur sentiments en nous présentant ce couple improbable formé par une psychopathe veuve noire qui tombe finalement amoureuse et un dépressif dont le circuit dopaminergique a rendu l’âme depuis belle lurette et qui ne soubresaute que face au meurtre et au sang.

Et c’est là que le bat blesse. Tout cela est ennuyeux. L’envie d’y croire est là mais l’envie seule ne suffit pas. La catharsis ne prend pas, comme si la mayonnaise n’avait pas été battue assez fort. C’est plat et surtout trop chaste. D’ordinaire cet adjectif est à l’exact opposé de ce que propose Park Chan Wook, mais malheureusement il sied plutôt bien à Decision To Leave.

Il faut tout de même souligner l’originalité de l’époustouflante mise en scène, qui à elle seule justifie le visionnage du film. D’abord la multiplication des points de vue : on est la victime, puis le policier qui court, on regarde du haut, puis du bas. La caméra folle balaye toutes les dimensions, nous offrant plusieurs regards sur ce qui se trame. Le regard a d’ailleurs une place prépondérante dans le film. Il est le filtre propre à chaque être humain à travers lequel est composée sa réalité et sa moralité (on en revient quand même toujours à ce thème primordial chez le réalisateur). Pour se forger cette vision unique et égocentrique du monde qui l’entoure, il utilise, en sus de sa vue, le goût, le toucher, l’odorat et l’ouie.

Le film joue en permanence avec nos cinq sens avec une habileté déconcertante. On a le goût des sushis en bouche, l’odeur du sang dans le nez, on sent sous notre paume la roche humide et granuleuse et on entend la voix de l’être aimé au creux de notre oreille. C’est assez remarquable et cela nous rappelle que nous ne sommes pas conviés dans la maison de n’importe qui, mais bien dans celle d’un maître du septième art dont l’immense talent n’est pas près de s’éteindre.

Decision to Leave souffre d’être comparé à ces prédécesseurs. En effet, face à l’excellence, même le très bon paraît un peu fade.

Créée

le 4 juil. 2022

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