Une course de haies, une succession d'obstacles, des heures perdues pour au final une demi-heure au parloir de Fleury-Mérogis, c'est exactement le parcours mené par ces femmes – auxquelles s'ajoute un mutique et discret visiteur masculin – pour venir voir qui un fils, qui un frère, qui un père. La réalisatrice Rachida Brakni filme donc une enfilade de huis clos faits de contrôles et surtout d'attentes dans une ambiance étouffante en pleine canicule estivale. Une réunion de facteurs propices à exacerber les passions et les rancœurs nichées ou enfouies chez ces femmes dévouées et épuisées, plus ou moins humiliées par l'administration pénitentiaire, plongée elle aussi dans l'expectative et terrassée par la suspension temporelle.


Une unité de lieu et de temps avec des sas comme autant de scènes où déambulent, se toisent et s'affrontent des corps alanguis électrisés par la chaleur suffocante – l'absence de toilettes dans les sas successifs ne permettant pas de boire. L'actrice passée à la mise en scène fait preuve d'une belle solidarité féminine doublée d'une réelle empathie face à ces mères courageuses et pleines d'une abnégation à peine reconnue. Dans un dispositif statique et donc théâtral, le film réserve quelques beaux moments. Dommage qu'il verse dans une dramaturgie croissante qui lui adjoint une dimension farcesque finissant par le desservir. Comme si la comédienne ne faisait pas suffisamment confiance à la puissance du lieu qu'elle investit et préférait un développement narratif servant aussi à évoquer de manière plus générale la situation de la femme arabe, largement représentée ici. Cette déviation, aussi légitime soit-elle, fait néanmoins perdre au projet de sa singularité et de sa force. Il n'en reste pas moins que ce premier long-métrage atteste d'un regard, d'une capacité à composer des plans dans un environnement coercitif et d'une démarche honnêtement humaniste. À partir de ce gynécée microscopique, Rachida Brakni compose une œuvre qui touche à l'universel et dépasse du coup largement les murs de cette prison dont on finit par croire qu'il est plus facile d'en sortir que d'y pénétrer.

PatrickBraganti
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films vus en 2017

Créée

le 24 févr. 2017

Critique lue 366 fois

1 j'aime

Critique lue 366 fois

1

D'autres avis sur De sas en sas

De sas en sas
easy2fly
7

Des femmes au bord de l'implosion

Dans un mois de février riche en sorties prestigieuses : Moonlight, Jackie, Silence, American Honey, Loving, Fences ou encore Lion, il y a ce film français passant inaperçu par la faute d'une absence...

le 28 févr. 2017

1 j'aime

De sas en sas
PatrickBraganti
6

Course de haies

Une course de haies, une succession d'obstacles, des heures perdues pour au final une demi-heure au parloir de Fleury-Mérogis, c'est exactement le parcours mené par ces femmes – auxquelles s'ajoute...

le 24 févr. 2017

1 j'aime

De sas en sas
Cine2909
6

Une autre vision du milieu carcéral !

Évoquer l’univers carcéral c’est généralement s’intéresser à ce qui se déroule au cœur des prisons, Rachida Brakni a choisi une autre direction. La réalisatrice a préféré se focaliser sur les proches...

le 19 déc. 2020

1 j'aime

Du même critique

Jeune & Jolie
PatrickBraganti
2

La putain et sa maman

Avec son nouveau film, François Ozon renoue avec sa mauvaise habitude de regarder ses personnages comme un entomologiste avec froideur et distance. On a peine à croire que cette adolescente de 17...

le 23 août 2013

89 j'aime

29

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5