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Les films cultes inachevés depuis des décennies arrivent les uns après les autres (Hélas il manquera toujours le Dune de Jodorowsky mon plus gros fantasme de cinéphile) : après le Don Quichotte de Gilliam, voici enfin le The other side of the wind d'Orson Welles plus de 40 ans après son tournage ! Il faut accrocher au montage hyper cut de plein de sources et formats différents de la partie réelle qui est un found footage avant l'heure (montage voulu par Orson Welles même si ça a été fini par Peter Bogdanovich, qu'on ne vienne pas dire que ça été charcuté derrière son dos comme La splendeur des amberson et La soif du mal, ça suit strictement ses instructions). ça fourmille de détails, de conversations entremêlées et interrompues, de blagues d'ivrognes et de piques parfois incompréhensibles et de personnages secondaires, tertiaires et figurants prestigieux à foison (coucou Chabrol, hello Denis Hopper) dans cette partie réelle qui est assez dure à suivre (à la fin du film je ne savais toujours pas qui étaient les 3/4 des personnages secondaires). Mais c'est hyper riche et le film dans le film est juste extraordinaire, c'est clairement le point fort de The other side of the wind et sa principale réussite: ça dépasse la simple parodie du cinéma d'Antonioni (que welles semble apprécier autant que moi...) pour devenir une oeuvre hypnotique, envoûtante et d'un érotisme dingue. Oja Kodar est absolument magnétique et la scène de sexe dans la voiture est peut-être la plus belle scène de sexe du cinéma et la meilleure scène de toute l'oeuvre d'Orson Welles.
La beauté des scènes du film dans le film me rappelle les fulgurances esthétiques des quelques plans expérimentaux qui nous sont parvenus de L'enfer le chef d'oeuvre inachevé d'Henri Georges Clouzot.
A noter que rarement la dimension meta d'un film n'aura été poussée aussi loin, l'oeuvre se confond complètement avec la vie d'Orson Welles : Peter Bogdanovich âgé ou le personnage qu'il joue dans le film, on ne sait plus, qui est un double de lui même, annonce d'emblée qu'il a assuré le montage du documentaire sur le dernier jour d'un grand metteur en scène des années après sa mort comme il finira dans la réalité le montage de The other side of the wind 40 ans après la fin de son tournage. Film inachevé qui contient un film dans le film inachevé lui même intitulé The other side of the wind dont le tournage semble des plus chaotiques et pour lequel il est difficile de trouver un budget. Orson welles va très loin dans le meta lors de l'hommage qui lui sera rendu par L'AFI où il mendie de l'argent pour finir son film en projetant la scène de la salle de projection où un ami du réalisateur du film cherche à convaincre un larbin d'Hollywood sceptique de financer le reste du film en projetant une séquence de The other side of the wind, le film dans le film, le larbin finit par comprendre que le metteur en scène navigue a vu et tourne sans scénario comme Orson Welles lui même pour ce film. Dans les deux cas la tentative d'obtenir le financement sera un cuisant échec.
Quel dommage que ça sorte aussi tard et dans une relative indifférence. Sorti dans les années 70 ça aurait été sans nulle doute une pierre angulaire du septième art, une révolution. Welles avait 20 ans d'avance, pas 50. Au passage ce film sorti officiellement en 2018 peut-il techniquement concourir aux oscars et césar du meilleur film étranger ? Il le mériterait.
Sortie en 1976 cette oeuvre aurait sans doute eu un succès confidentiel mais je pense qu'il serait devenu un film culte comme les midnight movies style El topo et aurait eu une influence énorme. Quand tu vois qu'un film comme Suspiria qui date de 1977 soit un an après la fin du tournage de The other side of the wind a influencé presque tous les cinéastes de genre et qu'on en trouve des traces dans infiniment de films alors que ce que propose The other side of the wind dans le film dans le film est encore plus poussé sur le travail des couleurs, quant au côté muet et atmosphérique ça enfonce sans problème Antonioni qu'il parodie pourtant car on ne ressent pas d'ennui contrairement à ce dernier. Je pense vraiment que ça aurait pu être une influence marquante et durable sorti en son temps. C'est impressionnant de voir d'ailleurs que certains plans D'oja Kodar nu dans le désert ressemblent à si méprendre aux plans fantasmés de Laissez bronzer les cadavres qui date de 2017. Je pense que ce film aurait été un jalon essentiel du cinéma européen atmosphérique dans la continuité d'Antonioni et du cinéma formaliste de cinéastes comme Fassbinder, Wong Kar Wai, Argento et Winding refn et du found footage, genre dont on situait pourtant la naissance avec Blair Witch à la fin des années 90.

thobias
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le 20 janv. 2019

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