Quand la force d’une suite de mots parfaitement agencés étaye la fureur d’une critique sociale sans concession, une alchimie redoutable prend forme à l’écran. En insérant en terrain hostile un personnage déphasé du monde, dont le comportement rappelle furtivement une certaine forme d’autisme, Jean Claude Brisseau dresse le portrait saisissant d’une France d’en bas en pleine détresse, marquée par une précarité illustrée par différents portraits de solitaires en recherche de repères.


Chaque personnage donnant de la voix dans De bruit et de fureur est en effet le témoin d’une solitude maladive, d’une incapacité à trouver sa place dans une communauté qui ne parvient plus à trouver l’harmonie. Une institutrice propulsée dans une classe agitée, un peu malgré elle, qui s’accroche à un élève pas comme les autres pour retrouver cette fibre passionnelle qui l’a conduite à choisir son métier, un jeune garçon dont l’esprit fertile joue le rôle de palliatif à l’absence de sa mère, son ami peu recommandable qui souffre de l’inintérêt que lui porte son père ou encore un grand père malade condamné à creuser de son poids un matelas inconfortable, tous cherchent chez l’autre un regard où se refléter, pour confirmer leur existence dans un monde qui les rejette.


Un propos difficile à équilibrer, qui peut vite devenir graveleux s’il n’est pas accompagné d’un certain contrepoint ; une nuance que Jean-Claude Brisseau construit notamment au moyen de dialogues savamment pesés. Lorsque l’étau se resserre, que l’atmosphère se fait noire ébène, le cinéaste laisse la puissance d’une maxime apaiser l’urgence de la situation. Quand la mort s’invite avec fracas dans le cycle d’une vie laborieuse, elle est contrebalancée dans le même temps par une pensée philosophique positive qui permet de désamorcer le côté dramatique de chaque situation. Et surtout, entre deux larcins peu reluisants, Brisseau dédramatise également son portrait par quelques traits d’humour qui apportent à ses images un peu de légèreté, même s’il est bien souvent dans l’esprit abrupt du film : corrosif et revendicateur.


Il ne pourrait en être autrement d’ailleurs, puisque le leitmotiv de Brisseau ici est de filmer l’errance de ses personnages sans la rendre visuellement flatteuse, si ce n’est pendant les phases fantasmatiques du seul personnage qui est, ici, autorisé à rêver. C’est cette constante brutalité qui confère à De bruit et de fureur autant de puissance. Quand Brisseau filme le béton, il le met en boite tel qu’il le voit, à la fois inhospitalier et rassurant, échiquier impartial qui fait tomber 10 têtes pour en sauver une. Un parti pris qui repose essentiellement sur une direction d’acteur admirable, dont la précision s’exprime à travers les partitions étonnamment justes que délivrent les deux plus jeunes acteurs de la troupe, certainement inspirés par la belle énergie du terrible Bruno Cremer.


Les yeux humides, le cœur gros, on raccroche le casque épuisé par un final d’un désespoir absolu, sauvé de la plus totale dépression par une incartade littéraire profondément touchante. L’oiseau, symbole omniprésent de la quête de liberté illusoire qu’entreprennent tous les personnages de cette envoûtante histoire, perd ses ailes et son libre arbitre ; un rêve de trop lui fait préférer l’ultime fuite qu’un percuteur rend possible au fantasme illusoire d’une vie potentiellement meilleure.




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oso
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le 24 févr. 2015

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oso

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