Après la mort de sa grand-mère, Bruno, un gamin rêveur part vivre chez sa mère à Bagnolet. Il arrive seul, accompagné de son oiseau, et restera seul tout au long du film, sa mère étant physiquement absente et ne communicant avec lui qu'a l'aide de mots placardés sur les murs de leur modeste appartement. Pour échapper à ce quotidien, Bruno se perd dans ses rêves où il est visité par une énigmatique femme, métamorphose de son fidèle oiseau qui traîne avec lui une réputation de malédiction depuis le suicide de son précédent jeune propriétaire. Considéré comme un élève médiocre, Bruno se retrouve placé dans la classe des causes perdues où il fait bientôt la connaissance de Jean-Roger, terreur du C.E.S., qui le prend plus ou moins sous son aile. Lié à une bande de voyou régnant sur cette banlieue, Jean-Roger tente de s'intégrer à cette bande pour échapper à son père violent, anarchiste passionné d'arme à feu. Le film réussit à ne jamais tomber dans le schématisme et dresse le portrait de plusieurs personnages tous complexes et finalement attachants malgré leurs énorme défauts.


Il y a Jean-Roger donc, qui fait régner la terreur dans sa classe, et qui se révèle petit à petit en recherche d'amour paternel. Pour quitter sa famille parmi laquelle il ne se sent pas aimé, il tente d'en intégrer une autre, celle des caïds mais il devra pour cela prouver qu'il est « un homme », ce qui le conduira à aller toujours plus loin dans sa descente aux enfers. Cette recherche d'amour vient d'une jalousie pour son frère aîné, que l'amour d'une jeune journaliste est en train de sauver, et qui entretien des rapports privilégiés avec le père. Ce personnage du frère, peu présent, est pourtant fascinant car il est le seul à voir ce qui va se produire si tout continue de la sorte. Ainsi, lors de ses rares passages à l'appartement familial, il devient autiste et s'enferme dans sa bulle avec ses disques pendant qu'il fait l'objet de railleries du père et de l'oncle. Il finira par leur hurler son désespoir en trouvant les mots qui annonceront ce qui va suivre : « Si je reste ici, je vais mourir ». Ce grand frère n'est plus a sa place dans cet univers et étouffe rien qu'a le côtoyer, et est sans doute un personnage très émouvant du film puisqu'il fera tout pour s'échapper de ce carcan qui finira toujours pas le rattraper et même viendra salir sa compagne.


Le père, personnage ambiguë, d'abord présenté comme une caricature du beauf, passionné d'arme, de violence et vivant de larcins, n'hésitant pas à menacer d'une arme l'assistante sociale ou à tabasser le concierge ayant corriger son fils après que celui-ci ait mis le feu dans la cage d'escalier de l'immeuble. Une brute épaisse qui se moque de son romantique fils et élève à la diable ses autres enfants. Mais, au fur et à mesure, l'homme se révèle plus complexe et révèle même une petite conscience politique. On le comprends marqués au fer rouge par les horreurs de la guerre ce qui l'a amené à développer une philosophie anarchiste et individualiste, seul moyen de s'en sortir dans ce monde et d'être libre selon lui. Pourtant, son fils aîné, avec qui il semble de prime abord être le plus éloigné, est clairement son préféré, le seul avec qui il prenne le temps de s'ouvrir un peu et de s'exprimer. Cela est le révélateur d'une forme d'admiration pour son fils, qui lui n'a pas perdu l'espoir et continue de croire que l'amour va le sauver. Mélange d'admiration et d'angoisse, angoisse à l'idée d'être rejeté pour ce que l'on est. « Après l'avoir baisée, qu'est ce que vous vous raconterez? » Ainsi, c'est la différence sociale comme frein à l'amour qui est à nouveau évoqué. Le père à peur que son fils finisse rejeté parcequ'il n'est pas du même monde que la journaliste. Cela cache sans doute ses propres blessures.


Enfin, il y a Bruno, le jeune rêveur un peu paumé et laissé pour compte par l'éducation nationale. Parceque ses rêveries sont considérées comme un retard, il est placé parmi les « cas » du collège et finit par se laisser influencer par Jean-Roger, « pour faire comme tout le monde », dira-t'il a sa prof qui sera le témoin impuissant de sa dérive et qui tentera de l'aider à s'en sortir en le prenant sous son aile avant que Jean-Roger n'en deviennent également jaloux et finisse par tout détruire à nouveau. Le personnage de Bruno, légèrement décalé, qui communique différemment avec le monde qui l'entoure est absolument bouleversant de par son parcours et sa fin tragique.


De Bruit et de Fureur, en prenant pour prétexte de dépeindre le malaise de la banlieue, est en réalité une tragédie, celle de personnages qui sont à la recherche d'amour et de liberté et tentent de composer avec l'univers qui est le leur. Seul le grand frère sera finalement sauvé par l'amour que lui porte une jeune journaliste mais le prix sera fort. Brisseau opte pour une forme très austère mais qui laisse toujours l'émotion trouver sa place et signe de très belles séquences oniriques. L'interprétation est excellente avec en tête l'immense Bruno Cremer, nouvelle occasion de constater l'acteur de génie qu'il fût, en père ambiguë tout en force et brutalité. A ses côtés, les gamins François Négret et Vincent Gasperitsch sont remarquables. On quitte le film sous le choc, encore bouleversé par ses personnages et des séquences extrêmement fortes avec en tête les derniers mots murmurés par le grand-père agonisant seul à Bruno, « dit leur que nous sommes tous des frêres ».

ValM
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le 1 août 2014

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