Film dossier traditionnel sur lequel les américains ont coutume d’exercer leur efficacité, Dark Waters est déjà légitime quant à son sujet, à savoir la toxicité des produits fabriqués et vendus à grande échelle, et la culture du secret sacrifiant des vies humaines, animales et accumulant les désastres écologiques quand il est question de profit, nouvelle note dans la grande symphonie du capitalisme triomphant. Ce genre de récit qui écarquillent une nouvelle fois les yeux du spectateur, qui sait que ces pratiques gangrènent à peu près tout ce qu’il touche dans un supermarché, et donnent envie de s’abandonner à la cécité ou l’ermitage.


La question est ensuite de construire un récit autour de ces complexes questions, tout d’abord sur le plan scientifique. La découverte des conséquences exige de remonter à la source de questions de plus en plus abstraites, et des méthodes trouvées par la compagnie pour les occulter. Mais c’est surtout sur le plan du marathon judiciaire que la dynamique se forge. La force de Dark Waters réside avant tout dans son long cours, qui prouve certes la ténacité héroïque d’un avocat (mode Erin Brokovich on), mais surtout la puissance colossale des grands groupes et tout l’arsenal à leur disposition pour noyer le menu fretin.


On n’échappera à aucune recette d’un tel dispositif : une photo bleutée pour l’aspect vintage et vériste, le petit David avec ses post-it contre le Goliath et ses centaines de cartons de dossiers, la crise du couple, le recul d’effroi face à des révélations explosives, la pression des gros patrons derrière leurs gros bureaux, la destinée individuelle de certaines victimes (avec une séquence en caméra subjective d’une vache malade, dont on se serait bien passés…), les coupures de presse et les JT.


Film efficace, propos noble, mission d’information de salubrité publique. Où est le problème, dès lors ? Le problème, c’est celui du cinéphile face au nouveau film de Todd Haynes, à qui l’on doit des portraits uniques de femmes (Safe, Loin du Paradis, Carol, Mildred Pierce), un talent singulier pour le mélo, un travail délicat sur la forme toujours en adéquation avec son sujet, et qui semble ici tout simplement absent. On sait bien que la politique des auteurs chère à la France n’est pas toujours très légitime, et peut occasionner des malentendus. On doit admettre que changer de sujet et se renouveler devrait être mis au crédit d’un réalisateur. Mais après la déception du très mineur Musée des Merveilles, peut-être faut-il cesser d’attendre le retour d’un réalisateur qu’on a tant admiré.

Sergent_Pepper
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le 26 févr. 2020

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