Sida, ton univers impitoyable...
De portrait de clan à fresque sociale, de film-dossier à bromance subversive, Dallas Buyers Club a autant de vies et au moins autant d'ambition que son prédécesseur Café De Flore, aimable potage mystique un peu bourratif mais courageux et séduisant, qui comme ce nouveau cru se laissait peu à peu avaler par ses rêves d'ampleur. Le film commence en effet, dans des premières minutes vraiment saisissantes, très puissamment en suivant à la trace son redneck antipathique de rodéo, et sa projection à contrecoeur, avec l'annonce de sa séropositivité, dans l'univers renversé des outsiders sexuels que lui et sa bande de bouseux se plaisaient à tyranniser. Mais une fois sur les rails du film-docu sur l'industrie pharmaceutique (puisque le même bouseux est ensuite devenu dans la réalité un de ces trafiquants clandestins qui luttaient contre les abus médicinaux à l'apparition du virus du sida) et de la chronique édifiante à performances (excellentes d'ailleurs, mais qui, de Leto dans un énième numéro de transfiguration, à McConaughey dans une nouvelle variation sur sa partition désormais un peu trop récitée de héros anachronique de l'Amérique profonde, portent en elles leurs limites), le film perd de sa singularité et son maniérisme racé se dilue moins confortablement dans le copieux film à thèse, dont il ne maîtrise pas suffisamment les rouages pour captiver autant. C'est que Jean-Marc Vallée a déjà prouvé qu'il excellait surtout, avec son ado gay mal dans sa peau (C.R.A.Z.Y.) ou ses demi-sorciers malades (Café De Flore), à filmer l'autisme, la proximité de chairs dolentes et autodestructrices, et perdait de sa personnalité dès que les idées prenaient le pas sur les corps. A l'heure du bilan, franchement honorable par ailleurs, force est malgré tout de constater que sa première oeuvre, celle où il avait le flair de se cantonner à ces sphères de l'intime, reste encore sa meilleure.