Que reste-t-il ne nos années 80 ? De ces années de tenues et de coiffures improbables et d’une chanson française en berne ? De ces années d’un monde ouvrier britannique matraqué à coups de haine par d’une dame au cœur de fer ? Il en reste un drame de l’amour, que les plus farfelus attribuent à un laboratoire situés aux Etats-Unis, dont les expériences auraient mal tourné. Il en reste une jeunesse qui, au moment où elle commençait à avoir l’envie de découvrir le corps l’autre, se voit intimer l’ordre de considérer ce corps comme un danger mortel. Il en reste des coming-out forcés par la maladie. Il en reste un Français d’extrême droite, bavant une rage et une haine puantes, qui pris un plaisir non dissimulé à colporter les pires ragots à propos de cette maladie traitresse qui, à défaut de tuer directement, se contente d’ouvrir vos portes à toutes les infections, le sida ne tue pas, il vous fait assassiner. Il en reste enfin Dallas Buyers Club, film qui vient prendre la place de Philadelphia, parce-que plus sincère, parce-que moins léché et surtout parce-que beaucoup moins indulgent envers le monde de la médecine.

Ron est un con, homme à femmes et de rodéo, il passe le plus clair de son temps entre les champs de pétrole texans où il est électricien et la chevauchée alternative de femmes et des taureaux. Il semble heureux de cette vie plutôt facile faite de baise, d’alcool et d’arnaques à la petite semaine. Bien évidemment, ils sont peu nombreux ceux qui, à cette époque, pensent à utiliser une capote et Ron encore moins qu’un autre, persuadé qu’il est de son invulnérabilité d’homme blanc, hétérosexuel et surtout yankee ! Pourtant Ron va mal, ça ne se traduit pas par grand-chose à part quelques petits étourdissements de rien du tout, mais comme il refuse inconsciemment d’aller mal, il les renie ces étourdissements. Jusqu’au jour où, de passage à l’hôpital, des examens sanguins lui apprennent qu’il est séropositif. Ron commence pas refuser en bloc cette maladie, normal puisqu’il n’est pas une « saleté d’homo », une « tapette » et ne peut donc pas être victime de cette saloperie que Dieu, dans sa grande sagesse, a fait descendre pour punir les gays d’être gays. Puis l’évidence le frappe, la maladie s’installe et si Ron l’accepte contraint et forcé, il en refuse toujours l’issue fatale qui doit survenir trente jours plus tard. Il va donc se battre, trouver des médicaments alternatifs interdits aux States et monter un business qui mettra à disposition des traitements autres que cette saloperie d’AZT. Forcé au début, il finira par se rapprocher naturellement des milieux homosexuels, car la douleur et la maladie feront apparaître cette part d’humanité en lui qui va bien au-delà de l’étiquette de W.A.S.P. qu’il est si fier d’arborer.

On ne pleure pas vraiment devant Dallas Buyers Club, pas que l’émotion en soit absente, mais parce-qu’elle est toujours en équilibre avec un côté toujours réaliste et froid sur la situation des malades du sida aux débuts de l’épidémie, situation qui les rabaissait au rang de lépreux et qui provoque encore aujourd’hui un intense sentiment de révolte. La mise en scène est certes excellente, mais Dallas Buyers Club est de ces films qui techniquement, s’effacent totalement derrière leur propos et le talent de leurs acteurs. C’est vrai qu’elle raconte beaucoup cette histoire tirée de fais authentiques, elle est sans pitié pour le lobby pharmaceutique dont les pratiques n’ont pas évolué à ce jour, ou alors en pire. Ce lobby qui se préoccupe moins de la guérison des malades que de la croissance de son chiffre d’affaire et qui reste soupçonné de moins vouloir guérir du sida que de traiter la maladie car cette dernière solution est plus lucrative. Cette histoire qui insiste sur la condition des homosexuels de l’époque, criminalisés dans beaucoup de pays, rejetés dans le meilleur des cas et ghettoïsés aujourd’hui encore. Cette histoire de rédemption par l’acceptation de l’autre d’un homme si imprégné de virilité et qui va peu à peu découvrir que la différence n’est pas une anormalité, qui va découvrir que les préjugés qu’il a en lui, retombent tout à coup du fait de sa maladie et qu’on peut se retrouver seul par de simples examens sanguins. Ce qui sauve finalement Ron, c’est cette furieuse envie de vivre.

Dallas Buyers Club est un film qui s’efface derrière ses acteurs, leur laissant le loisir d’exprimer librement un talent immense et faisant d’eux aussi bien que de leur personnage, le centre d’une histoire de souffrance qui restera comme un maître-étalon dans leurs filmographie respective. On ne blâmera pas la toujours ravissante Jennifer Garner, plus à son aise qu’habituellement mais définitivement plusieurs cran en-dessous de Jared Leto et Matthew McConaughey. Jared Leto, cet homme est une femme superbe, captivante et sexy, on va dire que je m’emporte ou que je suis en plein coming-out, je constate juste un fait. Il est incroyable de féminité et de douceur dans un film qui se révèle somme toute assez brutal. On qualifiera cela à tort de performance car enfin ! il ne s’agit pas ici de plongée en apnée ! Il est juste parfait dans un rôle de travesti qu’il assume pleinement et avec perfection. Et puis Matthew, ancien playboy, jeune premier sexy de ces dames. Et si on oubliait un peu ces vingt kilos perdus, sur lesquelles les médias se focalisent et dont on a rien à faire. Cet acteur est de plus en plus impressionnant de justesse, de sincérité et de nuance dans son jeu qui a su passer à autre chose qu’un simple sourire émail diamant. Il passe avec brio par tous les stades bien connus de la maladie: le reniement, la prise de conscience, la révolte, l’acceptation puis le combat et marque définitivement le septième art.

Les années sida comme on les a peu vues, dans toute leur brutalité, leur arbitraire et leur injustice, balayant indifféremment hommes, femmes, jeunes, vieux, homosexuels, hétérosexuels sans justification ni signe annonciateur. Les années sida dans toute leur bêtise inhumaine, dans tout ce qu’elles ont engendré de changements dans les comportements, modifiant les rapports sociaux pour des décennies. Les années sida dans toute leur horreur, permettant à certains, comme du temps maudit de la collaboration, de tirer profit de la détresse, de la souffrance, du malheur et de la mort d’autrui. S’il n’est pas une œuvre scolaire, Dallas Buyers Club n’en est pas moins une œuvre didactique qu’il nous faut prendre comme un legs, comme une leçon mémorielle sur des comportements et des haines qui ne devraient plus polluer les cerveaux et qui de tout temps, trouvent avant tout leur origine dans l’ignorance.
Jambalaya
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