En ces temps de recyclage, de reprise ou d'exploitation mercantile dévoyée sous couvert d'hommage, on se dit que le néant artistique, en matière musicale, s'ouvre de plus en plus profond sous nos pieds. Au point de remettre sur le devant de la scène un passé rassurant et idéalisé. Rendez-vous compte, ils vont même ressusciter Claude François en le faisant se trémousser sur scène en 3D...


Je me dis parfois que le biopic en forme de fausse sauvegarde du patrimoine culturel participe de ce même élan confortable et sans aucune prise de risque, comptant sur la base de nostalgiques, non négligeable, de l'idole sortie de son cercueil et de la caution de circonstance du gardien du temple ou de la mémoire de l'artiste. Et je me rends compte que j'oublie des oeuvres récentes comme Gainsbourg (Vie Héroïque) ou Cloclo, qui bénéficiaient de l'univers ou du point de vue porté par leur réalisateur respectif sur leur chanteur. Je fais fi, aussi, de films comme Jean-Philippe ou Michael Jackson's This Is It, questionnant, pour l'un, la signification et l'impact de l'idole (qui, bien sûr, déjeune) sous couvert de fiction maligne, ou portant un héritage artistique dans une création inachevée.


Je ne me souviendrai pas de Dalida pour de telles qualités, malheureusement. Car Lisa Azuelos passe presque systématiquement à côté de la substance de la chanteuse, de ce qui en faisait finalement la chair et l'irriguait d'une essence étrange, dramatique et d'une tristesse infinie. Elle y insuffle sa vision, toute personnelle, en forme d'icône de la liberté de l'esprit féminin alors même qu'elle dessine, sur les épaules de la chanteuse, le poids de l'influence de son manager de frère, celui des conventions, d'une quête sans fin ou d'une carrière qu'il faut faire avancer et propulser. Au point de réduire son film à un simple défilé mécanique et parfois sans âme d'hommes dans les bras de sa star, tour à tour survolés, simplifiés à l'extrême, voire modifiés dans leurs comportements. Au point, aussi, d'empêcher toute identification dans cette soi-disant quête de l'amour absolu, et de transformer en certaines occasions sa belle italienne en adolescente midinette, image bien réductrice au demeurant.


Mais ce serait le moindre des défauts si le spectateur n'était pas pris à la gorge à la minute même où il pense qu'il y avait, ici, matière à un tout autre film, bien plus noir, bien plus touchant, qui aurait traité de la destinée de Dalida sous son prisme le plus tragique, s'il avait mis en avant la souffrance infinie de la chanteuse, l'aura de malheur qu'elle pensait émaner de sa personne, alors que les hommes de sa vie, tour à tour, se suicident. Comme si elle était l'élément déclencheur, la charge négative à la source du mal être qu'elle aurait entretenu en chacun d'entre eux. En cette matière, il n'y aura que cette séquence, montée en parallèle, du suicide de Lucien Morisse et une interprétation magnifique de Je Suis Malade pour donner au spectateur un frisson émotionnel réel, comme s'il communiait enfin avec le malheur et la détresse de la star. Dommage que Dalida, après cette épisode, ne renoue plus jamais avec de tels sommets...


Mais imaginer un film d'une telle noirceur aujourd'hui serait ignorer que celui-ci s'inscrit dans un plan marketing millimétré, qu'il y aura sans doute, dans la foulée, la BO du film, des compilations anniversaires ou encore des livres hommages lancés dans le sillage de l'exploitation cinématographique du nom de la défunte. Et Lisa Azuelos de tomber, sans effort réels, dans certains travers du biopic bien propre sur lui, à coups de trauma enfantin qui n'apporte rien au propos de la réalisatrice, pathos inutile et séances chez le psy d'une platitude à pleurer, où l'environnement de la star défile, chacun son tour comme à confesse. Quant au mélange de la vie privée et de la carrière de la chanteuse, il ne sera pas très bien exécuté alors que, côté spectacle, cela sera réduit à certaines images d'archives retouchées et un best of chiche de performances scéniques sans grand relief.


Jusqu'à en devenir presque indigeste dans une dernière partie qui semble sans fin et pédaler dans la semoule tant il n'a plus grand chose à raconter une fois passé le suicide, anti émotionnel au possible, du dernier homme de la vie de Dalida. Sans aucun but à atteindre, sinon l'acte final connu de tous, sans rythme, pesant et d'une tristesse plus liée à l'intérêt qui s'est fait la malle qu'à celle éprouvée par la chanteuse, le film dépérit mollement, comme le fait son personnage, seulement pathétique à défaut de susciter l'empathie.


L'hommage semble bien loin au bout de deux longues heures d'un scénario fleuve qui aurait nécessité coupures, mise en avant de la dimension tragique de la vie menée par l'artiste et un point de vue bien plus affirmé. Sauf qu'en l'état, Dalida ressemble plus à un cadavre sur la table des expériences d'un Docteur Frankenstein en panne totale de courant. Un cadavre bien coiffé, bien maquillé, bien habillé, qu'il entraîne dans un simulacre de danse mais qui demeure pourtant inanimé et froid, malgré la musique de la star et la volonté de faire revivre à tout prix son fantôme tragique.


Et on se surprend à penser que les monuments funéraires érigés à la mémoire de toutes ces étoiles disparues devraient être équipés, de série, d'un téléphone. Afin qu'ils puissent dire non de vive voix à la mise en scène de leur gloire recyclée. Afin qu'ils puissent devancer les gardiens de leur temple ou de leur héritage, bien vivants, eux, pour compter les billets et perpétuer leur rentable petite entreprise.


Puissent-ils enfin reposer en paix.


Behind_the_Mask, Orlando (pas très) Magic.

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le 11 janv. 2017

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